Toujours dans cette perspective de la Grande Guerre, je me suis lancé dans cet ouvrage sans rien connaître, ni de l’œuvre ni de son auteur. Je l’avais simplement vu figurer dans une liste des meilleurs livres sur la Première Guerre mondiale et je me suis dit : pourquoi ne pas essayer ?


Nous sommes face à un ovni autobiographique. Impossible de savoir si certaines situations sont réelles ou si c’est son talent de narrateur qui prend le dessus. Cendrars écrit près de trente ans après les faits, après une longue gestation et un projet avorté en 1918. Il a vécu la guerre directement pendant dix-huit mois, jusqu’à une blessure qui lui vaudra l’amputation du bras droit. On s’attendrait donc, de manière classique, à ce qu’il nous raconte comment cela est arrivé. Mais non : il choisit le contre-pied, le non-conformisme, et c’est sans doute ce qui m’a séduit après tant de lectures sur le sujet.


Le récit n’a pas de structure apparente. Il se déploie au gré d’anecdotes, de tranches de vie des poilus de la Légion étrangère (Ces hommes volontaires venus de partout, décidés à combattre pour la France, chacun avec ses raisons, certaines nobles, d’autres moins), un angle que je n’avais jamais rencontré ailleurs. Souvent, il commence par leur mort, pour ensuite les retrouver dans d’autres épisodes. Sous cette apparente décousure se dessine pourtant une architecture subtile : un récit qui balaie les grands thèmes de la guerre de manière exhaustive, plus complète que bien des ouvrages avant lui.


Le style est ciselé, nerveux, presque parlé. On sourit souvent devant la description de ses personnages passés au microscope. Il caricature la guerre, la ridiculise, la schématise par l’absurde : officiers, gendarmes de l’arrière, simples poilus, tout y passe. Le va-et-vient entre le front et l’arrière devient métaphore : ces soldats qui pointent à l’usine, gardant leurs réflexes d’une vie antérieure.


On sent la haine des chefs chez l’anarchiste qu’il est. Il ne respecte que ceux qui sont à la hauteur de leur tâche, déteste les lâches qui se planquent et fanfaronnent. Il ne cherche pas les récompenses, se porte volontaire parce qu’il a la bougeotte et refuse de se cacher. Une personnalité qui tranche, cette volonté de combattre en opposition avec les officiers, là où d’autres récits prêchent le pacifisme.


La blessure et l’amputation, loin d’être un sommet dramatique, deviennent un simple jalon. Pas de pathos : il transforme la mutilation en force narrative, comme si la perte du bras ouvrait une autre vie.


Très séduit par la plume et le ton, j’ai envie de découvrir les autres volumes de sa tétralogie. Une personnalité atypique, un récit hors norme qui, pour moi, reste à ce jour le meilleur témoignage sur la Première Guerre mondiale. On y retrouve tous les ingrédients essentiels, mais réinventés, dynamités par une liberté totale.

Gilead
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le 30 oct. 2025

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