Deux nouvelles semi-autobiographiques composent ce recueil. Dans La tombe des lucioles, deux enfants, un frère et une sœur prénommés Seita et Setsuko, sont livrés à eux-mêmes après le décès de leur mère sous les bombes américaines qui pilonnent le Japon en 1945. Ils tentent de survivre en vagabondant, accrochés l’un à l’autre, dans la ville bombardée. Les algues d’Amérique se déroulent vingt-deux ans plus tard : à l’initiative de sa femme qui avait fait leur connaissance lors de vacances à Hawaï, le presque quadragénaire Toshio accepte à contre-coeur de loger chez lui un couple d’Américains en visite au Japon. Le fossé culturel et, pour Toshio, la honte conservée de la période d’occupation du Japon par les Etats-Unis après-guerre, ont tôt fait de lui rendre ce séjour très pénible.


Ces deux récits apparaissent désespérément hantés par le vécu traumatisant de l’auteur. Lui aussi a perdu sa mère adoptive sous les bombes en 1945, puis sa petite sœur, victime de la famine alors qu’il tentait, seul avec elle, de survivre dans les décombres. Ce sont également ses propres souvenirs qui alimentent le récit de Toshio, à jamais marqué par l’arrivée des Américains sur le sol japonais après la défaite nippone. Si la seconde nouvelle se teinte d’une forme d’ironie et prête parfois à sourire au vu des malentendus culturels qui séparent les Higgins de leurs hôtes, la première déroule une cascade dramatique si accablante qu’elle laisse le lecteur sous le choc, assommé et anéanti, presque au-delà de l’émotion. Seita et Setsuko, ces deux étincelles de vie livrées comme de légères et fragiles lucioles au vent de l’apocalypse qui souffle sur le Japon en 1945, incarnent le drame de leur pays tout entier avec une force sans pareille pour un récit qui tient en si peu de pages.


Ces scènes de famine au milieu des ruines, d’enfants vagabonds exposés au pire, puis, dans la seconde nouvelle, l’évocation de l’ambivalence, entre honte, soulagement et admiration, ressentie alors que la supériorité américaine se déverse dans le pays ravagé et hagard, peuvent faire penser à celles observées par Curzio Malaparte en Italie à la même époque dans son roman La peau. Si l’horreur et la sidération s’expriment chez l’auteur italien au travers d'une ironie grinçante, morbide et désespérée, elles déclenchent chez Nosaka un flux tumultueux de phrases et d’images, comme un raz-de-marée « de voix, de langues, de la plus vulgaire à la plus classique », rendu perceptible par la prouesse du traducteur Patrick De Vos.


De cette fin de la seconde guerre mondiale, Nosaka gardera de grands tourments existentiels, qui développeront chez lui une nette tendance à l’instabilité et un certain goût pour la provocation et le scandale. Ses écrits, couronnés par le prestigieux Prix Naoki et salués, entre autres, par Mishima, le classent parmi les auteurs majeurs du Japon. La tombe des lucioles a, en outre, été adaptée en film d’animation, devenu un immense classique. Autant d’arguments supplémentaires pour découvrir ces deux textes brefs, mais terriblement marquants.


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Cannetille
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le 16 mars 2022

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