Le Banquet des Empouses est un roman qui mêle réalisme magique, critique sociale et féminisme. En 1913 dans un sanatorium de Görbersdorf (aujourd’hui en Pologne), Mieczyslaw Wojnicz, jeune ingénieur tuberculeux, s'installe au cœur d’une pension exclusivement masculine où règnent discussions misogynes et obsessions identitaires. L’arrivée de Wojnicz dans ce microcosme coïncide avec une série d'événements mystérieux, scrutés par l’œil invisible mais omniprésent des "Empouses"— entités féminines mystérieuses issues de la mythologie grecque.
Le roman explore subtilement la façon dont la féminité hante et perturbe l’ordre masculin : bien que les femmes soient physiquement absentes ou en retrait, elles occupent une place centrale dans les préoccupations et discours des hommes confinés et condamnés à plus ou moins logue échéance, jusqu’à devenir, en filigrane, les instruments de leur tourment.
Tokarczuk utilise ce huis clos masculin pour démonter les stéréotypes et discours misogynes, souvent repris de textes classiques (voir l'annexe fournie par l'auteure) révélant l’ancrage de ces préjugés dans la culture occidentale.
La narration alterne entre le point de vue de Wojnicz — personnage à l’identité trouble, à la santé et à la sexualité incertaines — et celui, collectif et surnaturel, des Empouses. Ces dernières observent le groupe d’hommes et donnent à l’histoire une tonalité quasi mythologique, utilisant une voix polyphonique et distante.
L’atmosphère du livre est fortement marquée par l’irruption du fantastique et par le choix d’une critique radicale de la masculinité et des structures de pouvoir patriarcales. La routine aseptisée du sanatorium, rythmée par les rituels de la maladie, de la table et de la boisson, masque des tensions profondes et des pulsions de peur et de désir vis-à-vis du féminin.
Le Banquet des Empouses est à la fois un roman réaliste dans la veine du 19e siècle, une réflexion sur le genre et la différence, une réécriture du gothique féminin, où le surnaturel sert d’allégorie aux angoisses collectives et à la revanche des figures féminines longtemps opprimées. L’écriture de Tokarczuk marie érudition, ironie et sens du mystère, rendant l’ouvrage étrange et déroutant et posant des questions contemporaines sur l’identité, la tolérance et la mémoire de la domination masculine.
La première partie peut cependant sembler pesante, le rythme du récit est assez lent, traduisant bien l'ennui qui règne dans ce sanatorium et cette pension isolés de tout.