Alain Delon et ses fantômes
Philippe Brunel adore le cinéma, les vedettes au destin tragique comme il nous l’a montré dans son précédent roman, Laura Antonelli n’existe plus. Un livre dans lequel il rendait hommage à cette...
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le 26 oct. 2025
Il était « secrétaire, garde du corps et doublure lumière » d’Alain Delon, mais aussi son ami et, bientôt, l’amant de sa femme Nathalie. Il fut retrouvé une balle dans la nuque et le visage fracassé dans une décharge des Yvelines. Aussitôt, ce fut l’emballement médiatique. Elimination vengeresse commanditée par l’acteur ? Ou initiative des truands qu’il fréquentait pour en faire un débiteur, un obligé ?
Ainsi démarre en octobre 1968 la trouble affaire Marković qui, entre rumeurs de parties fines avec des personnages politiques, chantages et même photographies truquées visant à compromettre Claude et Georges Pompidou, n’en finit pas de rebondir dans un parfum de scandale. Probablement la plus retentissante de l’après-guerre, l’enquête de police ne s’en est pas moins cassé les dents, laissant s’étendre jusqu’à nous des ombres que Philippe Brunel a entrepris de convier dans un roman vrai empreint de mélancolie.
Son rapport à la réalité à jamais brouillé par le trouble ressenti lorsque, enfant et croyant apercevoir Alain Delon et le réalisateur Jean-Pierre Melville dans une voiture américaine, il entendit les gens alentour s’exclamer « C’est lui, oui c’est bien lui ! C’est Jef Costello ! », autrement dit le personnage incarné par l’acteur dans un de ses films, le journaliste écrivain invite donc la réalité dans ce qui lui semble sa version la plus probable au coeur d’une fiction qui replonge dans l’affaire Marković tout autant qu’elle raconte une époque et une jeunesse perdue, celle d’un narrateur empruntant beaucoup à la mémoire de l’auteur.
C’est en fait une triple temporalité qui tend habilement le récit. Devenu journaliste aguerri à son tour, le narrateur tente de renouer les fils de l’enquête abandonnée trente ans plus tôt par un vieux briscard du journal, Pierre Salberg, qui l’avait alors engagé comme jeune assistant avant de disparaître. Son aîné s’intéressait alors à l’assassinat en 1993 d’un mafieux de la côte varoise, dont il soupçonnait qu’il avait aussi trempé dans l’affaire Marković. De 1968 aux années 1990 et à ce qu’il en reste aujourd’hui dans la mémoire de notre homme et des quelques témoins encore vivants, la réalité s’enveloppe si bien de brumes fantomatiques qu’elle n’est pas près de livrer ses mystères.
Se servant de la fiction pour mieux raconter une histoire vraie, l’auteur ne nous tient pas seulement suspendu au mystère d’un fait divers qui, en son temps, secoua la France entière. Ce que l’on retiendra plus encore ici, c’est sa façon toute modianesque d’observer avec mélancolie la lumière qui continue de nous parvenir de ce passé comme d’une étoile depuis longtemps éteinte, l’onde de plus en plus diffuse provoquée par une réalité coulant toujours plus profondément au fond de la mémoire et du temps passé : une manière qui convainc largement que, journaliste sportif de renom, Philippe Brunel gagne aussi à être connu comme écrivain. Coup de coeur.
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le 19 juil. 2025
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