Le roman débute dans l’intérieur d’une étude d’avoué. Les clercs plaisantent sur leurs clients. Ce n’est pas le respect qui les étouffe mais l’ambiance est détendue. C’est au cours de leur réparties que le lecteur retrouve la trace de Derville, l’avoué qui a obtenu sa charge de Gobseck l’usurier dont il fut l’exécuteur testamentaire. L’avoué du père Goriot.
Nous sommes donc en terrain connu lorsqu’un miséreux entre en scène. Il désire voir le patron (Derville) et ne souhaite parler qu’à lui. D’une affaire personnelle. Et grave. L’homme est invité à repasser à une heure du matin, horaire incongru où il est toutefois certain de trouver le maître à son étude. C’est donc au milieu de la nuit que la confrontation entre ces deux grands personnages balzaciens a lieu. Un face à face somptueux merveilleusement écrit par un écrivain doté d’un talent immense. L’homme déclare se nommer Chabert, célèbre colonel de la grande armée, officiellement déclaré mort sur le champ de bataille à Eylau à la suite d’une charge héroïque et décisive qui assura la victoire à Napoléon. Rien que ça.
Derville ne sait qu’en croire. Le héros national serait-il vivant (et devant lui) ou a-t-il affaire à un habile comédien qui espère gagner quelques sous ? L’homme lui raconte les souffrances qu’il endura : son ensevelissement sur le champ de bataille, son réveil souterrain parmi une multitude de cadavres, son exhumation, ses graves blessures qui l’immobilisèrent des mois durant, son retour en France… où il apprend qu’il est déclaré mort, sa succession prononcée, sa fortune répartie selon ses propres vœux, sa veuve remariée et que celle-ci refuse de le reconnaître.
Chabert est sans le sou et sans aide. Et lorsqu’il crie son nom, on le prend pour un fou. On rit de lui. Personne ne croit à son histoire rocambolesque et Derville qui l’écoute attentivement fait déjà preuve d’une patience inaccoutumée (l’homme l’en remercie avec chaleur, ému). Deville est comme ça. Il croit en l’humanité et décide d’aider ce malheureux. Il va se battre pour lui rendre son nom et sa fortune. Quant à sa femme… Elle est remariée et maintenant mère. Statut qui risque de compliquer la procédure. Seulement voilà, madame la comtesse Ferraud est maintenant bigame. L’un des deux mariages est de trop. La situation ne saurait demeurer en l’état. Et l’homme, si son identité se révèle exacte, a des droits sur la fortune de madame.
Rencontres, discussions, négociations. Tentatives d’intimidations. Menaces. Feintes. Ruses. Vilenies, mesquineries. Traîtrises. Colères, fureurs et rages alternent avec repentirs, regrets et honte.
Des personnages hauts en couleur, d’une extrême justesse qui se livrent à un jeu de dupe parfaitement ciselé. Une joute dans laquelle la dame sort gagnante mais profondément salie alors que l’homme, digne, retourne au ruisseau la tête haute, détestant Paris et l’humanité tout entière. « Quelle destinée. Sorti de « l’hospice des enfants trouvés », il revient mourir à « l’hospice de la vieillesse », après avoir, dans l’intervalle, aidé Napoléon à conquérir l’Égypte et l’Europe » conclura l’avoué.
Magnifique et cruel !
BibliOrnitho
9
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le 11 avr. 2013

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