Le Parc
5.9
Le Parc

livre de Philippe Sollers (1961)

Sorti en 1961, Le Parc est un texte étrange. Pas vraiment narratif ni complètement descriptif dans son intégralité, il ne raconte rien, mais l’on ressent beaucoup, tant la sensualité du texte est importante. Accoudé à son balcon, le narrateur nous fait voir ses impressions et ses sentiments contrastés sur le monde qui l’entoure, sur un parc, sur une protagoniste évanescente aux yeux marron et sur un camarade tué à la guerre.

J’ai pensé tout au long de ma lecture aux premières pages de La Prisonnière de Marcel Proust :

Dès le matin, la tête encore tournée contre le mur, et avant d’avoir vu, au-dessus des grands rideaux de la fenêtre, de quelle nuance était la raie du jour, je savais déjà le temps qu’il faisait. Les premiers bruits de la rue me l’avaient appris, selon qu’ils me parvenaient amortis et déviés par l’humidité ou vibrants comme des flèches dans l’aire résonnante et vide d’un matin spacieux, glacial et pur ; dès le roulement du premier tramway, j’avais entendu s’il était morfondu dans la pluie ou en partance pour l’azur. Et, peut-être, ces bruits avaient-ils été devancés eux-mêmes par quelque émanation plus rapide et plus pénétrante qui, glissée au travers de mon sommeil, y répandait une tristesse annonciatrice de la neige […]

Attention, ne vous méprenez pas, le texte de Sollers est beaucoup moins riche et moins final que l’effervescence fuligineuse de Proust. Cet extrait de Proust contient pourtant tout l’art descriptif et sensitif du Parc de Philippe Sollers ; dans le livre de l’auteur bordelais, on suit les pérégrinations rêveuses du narrateur qui découvre l’univers de son propre roman, les contrées du nouveau roman, et les guenilles du vieux roman moribond de 1900. On pense à Proust, mais également à Sarraute et Aragon (Aurélien). Ce texte a obtenu le prix Médicis en 1961. Après une curieuse solitude, l’auteur voulait s’aventurer dans une nouvelle voie, la voie spéculative du nouveau roman, une voie royale, même s’il ne l’a pas complètement épousée. Étrange et abscons est parfois le texte, on se demande où il veut en venir, mais la pureté du style est ici l’apanage des premiers romans, des premières découvertes d’écriture, une naissance dans la vocation de l’écrivain ; il s’ingénie à remplir son cahier orange, les phrases s’additionnent, et le style en découle : fluide, rapide, enlevé, surnageant entre les mots. Il ne faut pas oublier que Sollers est lié à l’édition française (Gallimard) ; il a été très critique envers Gide par le truchement de Louis Ferdinand Céline, mais lorsque Gide écrivait dans Paludes :

« J’écris Paludes – qu'est-ce que c’est ? « Un livre. »

Force est de constater que Sollers continue cette tradition instiguée par l’écrivain pontifiant de la NRF en écrivant :

« Là, au contraire, l’écriture occupe largement un feuillet plus petit » et plus loin « s'arrêtant pour boire un peu de bière trop chaude, se levant, allant près de la fenêtre écouter la nuit ; revenant s'asseoir à la table sur laquelle rien ne se trouvait excepté du papier, des enveloppes, etc. ».

L'écrivain s’est toujours réclamé du XVIIIᵉ siècle, de la légèreté, du badinage intelligent, du renouvellement des formes littéraires et de la découverte célinienne, mais comment est-il digne de cet héritage qu’il dit purement français ? Sa prose est formellement de qualité dans Le Parc, mais qu'attendre réellement de la correction, de l’élégance voire d'un tempérament mesuré dans son style ? On le trouve, c'est certain, mais ce texte nous frappe d’un certain ennui, d’une qualité rébarbative de l'écriture. Un verbiage assez neutre et, au final, contenant peu de saveur, si ce n’est un vague tropisme à la Sarraute. Une esquisse, un croquis d’un Malevitch en haillons.

« Je peux encore soupçonner ceci de son identité (de son absence d’identité) : il était le scandale amusé de se résoudre en un seul moment, en un seul lieu, alors que l’on est tous les moments et tous les lieux. » Le Parc

L'omnipotence et l'ubiquité du sujet dans l’espace et le temps, l'immortalité du sujet dans la trame du texte, voilà mon interprétation de la prose téléférique de Sollers. Le personnage qui sauve le roman, c'est certainement l’homme blessé, le soldat, qui souffre, contusionné et hagard. Le beau souvenir fatal. Les descriptions de tableaux du XVIIIᵉ siècle ne m’ont pas convaincu. Je reste sur ma faim.

Sachadebonnaire
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le 17 mars 2025

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