Le livre qui a fait de moi un aragonien impénitent.

Je demeurai longtemps derrière un Vittel Menthe

Après la grande veine lyrique de la Résistance, Aragon publie toujours, alternativement, vers et proses, romans et poèmes ; cependant, dans le cadre de la Guerre froide, il a prôné le vers français, la poésie patriotique, et s'est pour ainsi dire fermé à son inspiration première.

Ainsi Les yeux et la mémoire, passablement embarrassant dans son ode au Parti mon père désormais, figure-t-il une forme d'impasse.

Mais, dit Aragon comme un petit Michel Strogoff, dans un poème non repris dans l'édition finale, Vint Mil neuf cent cinquante-six comme un poignard sur mes paupières : les yeux s'ouvrent sur les crimes de l'ère stalinienne et les dangers mortels qu'encourt l'idéal communiste chéri.

Aragon n'a jamais écrit d'œuvre autobiographique : il n'a abattu son jeu au sujet de sa vie que pour mieux mentir-vrai, et il a fallu bien plus d'un biographe — genre auquel je me suis moi-même essayé — pour remettre de l'ordre dans le fatras qu'il a délibérément ordonné.

Le double choc du rapport attribué au camarade Khrouchtchev et de l'invasion de la Hongrie par les troupes du Pacte de Varsovie dessinent une année de tourments infinis pour les fidèles du communisme, ce culte de l'immanent soudain entré dans l'ère des révisions déchirantes, forcément déchirantes.

Sans être officiellement autobiographique, Le Roman inachevé creuse ses sillons de souvenirs :

Sur le Pont Neuf j’ai rencontré/ L’ancienne image de moi-même/ Qui n’avait d’yeux que pour pleurer/ De bouche que pour le blasphème/ Sur le Pont Neuf j’ai rencontré/ Cette pitoyable apparence/ Ce mendiant accaparé/ Du seul souci de sa souffrance/ Sur le Pont Neuf j’ai rencontré/ Fumée aujourd’hui comme alors/ Celui que je fus à l’orée/ Celui que je fus à l’aurore/ Sur le Pont Neuf j’ai rencontré/ Mon autre au loin ma mascarade/ Et dans le jour décoloré/ Il m’a dit tout bas Camarade...

Aragon, classe 1917 se remémore la Première Guerre mondiale :

Tu n'en reviendras pas toi qui courais les filles/ Jeune homme dont j'ai vu battre le cœur à nu/ Quand j'ai déchiré ta chemise de mes bras nus/ Tu n'en reviendras pas vieux joueur de manille/ Qu'un obus a coupé par le travers en deux/ Pour une fois qu'il avait un jeu du tonnerre [...] Déjà la pierre pense où votre nom s'inscrit/ Déjà vous n'êtes plus qu'un mot d'or sur nos places/ Déjà le souvenir de vos amours s'efface/ Déjà vous n'êtes plus que pour avoir péri

"La grande hache de l'histoire", selon l'expression de Pérec dans W ou le souvenir d'enfance, mais qui sera aussi bien celle d'Aragon dans Théâtre/ Roman, déjà cité, cette faux aveugle a failli l'emmener, lui qui découvrit un jour sa propre sépulture, ornée de sa plaque militaire :

Mais l'inscription que dit-elle/ Je lis et je ne comprends plus/ C'est pourtant mon nom que j'épelle/ J'ai-t-il mal vu j'ai-t-il mal lu/ Si c'est ma demeure mortelle/ Qui dort au pied de ce talus/ Le cœur muet les yeux au ciel/ Depuis six semaines deux mois/ Dans la terre au bord de la Vesle/ À l'ombre d'une croix de bois/ À huit cents mètres de Couvrelles/ Quel est celui qu'on prend pour moi

Et ce "Quel est celui qu'on prend pour moi" devient art poétique : dans ce miroir qui revient Aragon nous présente son autre profil, celui que l'homme public, l'auteur "engagé", dit un vocabulaire qu'il récuse, le communiste simplement, si chamboulé en 1956, celui que le grantécrivain, l'Anthoine Célèbre de La Mise à Mort dissimule dans les reflets emmêlés du miroir vénitien.

Un site incontournable, consacré par feu Wolfgang Babilas à Louis Aragon donne accès aux multiples ressources permettant d'appréhender l'homme, son parcours et son œuvre.

S'y reporter pour de larges extraits de ce Roman-là.

Syntagme qu'Aragon accolera aux titres Anicet ou le Panorama, Roman, ou Théâtre/ Roman, soit, de 1921 à 1974, d'un bout à l'autre de sa carrière littéraire, le roman comme tourniquet de ce qu'on n'appelle pas encore alors autofiction.

Peut-être est-ce de cette veine que ressortit notre recueil.

Aragon, cofondateur du surréalisme, raconte comment les mots l'ont "pris par la main" au café — Ceux qui n'ont pas d'amour habitent les cafés —, et je m'abstiens de TOUT citer alors que tout est merveilleusement beau et juste, que ces mots donnent vie à un monde surréel.

Malgré tout ce qui vint nous séparer ensemble/ Ô mes amis d'alors c'est vous que je revois/ Et dans ma mémoire qui tremble/ Vous gardez vos yeux d'autrefois/ Nous avons comme un pain partagé notre aurore/ Ce fut au bout du compte un merveilleux printemps/ Toutes les raisons tous les torts/ N'y font rien mes amis d'antan/ [...] Même si tout cela nous paraît dérisoire/ Un avenir naissant nous unit à jamais/ Où l'on raconte des histoires/ Pleines de notre mois de mai
Nous étions trois ou quatre au bout du jour assis/ À marier les sons pour rebâtir les choses/ Sans cesse procédant à des métamorphoses/ Et nous faisions surgir d'étranges animaux/ Car l'un de nous avait inventé pour les mots/ Le piège à loup de la vitesse/ Garçon de quoi écrire/ Et naissaient à nos pas/ L'antilope-plaisir les mouettes compas/ Les tamanoirs de la tristesse/ Images à l'envers comme on peint les plafonds/ Hybrides du sommeil inconnus à Buffon

Retour sur cet après-guerre séminal où revenus du front quelques jeunes hommes enfiévrés soucieux surtout de ne pas recommencer l'immense gâchis ne pas avaliser la trahison de leurs idoles littéraires ainsi Maurice Barrès dont ils feront le procès, Aragon s'en fera l'avocat Dada, mais sa plaidoirie s'est perdue — de ne pas faire la réclame de la guerre, qui les jeta sur le marché d'une vie qui déserta tant de leur génération, celle du Feu :

C'était un temps de solitude/ Ô long carême des études/ Où tout à son signe est réduit/ Aux constellations la nuit/ La vie affaire de mémoire/ De chiffres blancs au tableau noir/ Et lorsqu'on mourait à Vimy/ Moi j'apprenais l'anatomie [...]

Aragon carabin qui renonça à la médecine le jour d'une dernière épreuve parce qu'il allait la réussir se lance dans l'écriture comme on se jette à l'eau : à corps perdu.

Pardonnez-moi cette amertume/ Mais l'âge d'aimer quand nous l'eûmes/ Comme le regain sous la faux/ Tout y sonnait mortel et faux/ Et qu'opposer sinon nos songes/ Au pas triomphant du mensonge/ Nous qui n'avions pour horizon/ Qu'hypocrisie et trahison

Écriture, aveu et amour indissociables dès l'origine dans ce geste poétique dont s'ébrouera le surréalisme, sur les ruines fumantes de la guerre qu'on ne dira pas "grande", et du mouvement Dada : pour citer La Grande gaîté, poèmes par temps de suicide, où Aragon écrivit "J'ai fait le Mouvement Dada/ Disait le dadaïste/ J'ai fait le Mouvement Dada/ Et en effet/ Il l'avait fait."

Mais ce n'étaient que pirouettes, là où l'œuvre à venir ne saurait se sustenter d'une pure négation de tout : advienne un langage.

Ici commence la grande nuit des mots/ Ici le nom se détache de ce qu'il nomme/ Ici le reflet décrit de sa fantastique écriture/ Un monde où le mur n'est mur qu'autant/ Que la tache de soleil s'y attache/ Que le miroir lunaire a capté l'homme passant...

Et voici dix ans avant Michel Foucault décrite la valse des mots et des choses.

Peu de poèmes proprement politiques, hormis à l'entame, dans Bierstube magie allemande, ce souvenir, lors de l'occupation de la Sarre, qu'un Aragon non encore démobilisé accomplit en ayant conscience de faire partie d'une armée d'occupation :

Tout est affaire de décor/ Changer de lit changer de corps/ À quoi bon puisque c'est encore/ Moi qui moi-même me trahis/ Moi qui me traîne et m'éparpille/ Et mon ombre se déshabille/ Dans les bras semblables des filles/ Où j'ai cru trouver un pays

Cela sera repris chanté de Léo Ferré à Bernard Lavilliers, déclamé Philippe Caubère, est-ce ainsi que les hommes vivent ?

Voici comment vécut celui qu'on prend pour moi. L'amour, geste instruit de Lewis Caroll, est "ce pays au-delà du miroir", et c'est pour la majeure partie de l'œuvre, ou la partie principale du présent ouvrage, à cette source que puise l'écriture.

Naturellement pour Elsa.

Suffit-il donc que tu paraisses/ De l'air que te fait rattachant/ Tes cheveux ce geste touchant/ Que je renaisse et reconnaisse/ Un monde habité par le chant/ Elsa mon amour ma jeunesse

Pour Elsa qui lui sauvera la vie, lorsqu'après l'autodafé de La Défense de l'Infini, la rupture, la tentative de suicide à Venise,

Il n'aurait fallu/ Qu'un moment de plus/ Pour que la mort vienne/ Mais une main nue/ Alors est venue/ Qui a pris la mienne

Pour d'autres amantes majuscules, et jamais oubliées. Mais par-delà les amours, la constellation féminine de cette enfance truquée, où l'on fit passer la mère d'Aragon, enfant adultérin, pour sa mère :

Marguerite Marie et Madeleine/ Il faut bien que les soeurs aillent par trois/ Aux vitres j'écris quand il fait bien froid/ Avec un doigt leur nom dans mon haleine/ [...] La vie et le bal ont passé trop vite/ La nuit n'a jamais la longueur qu'on veut/ Et dans le matin défont leurs cheveux/ Madeleine Marie et Marguerite

Le vers tordu plié de tous côtés défait se résout en longues laisses poétiques :

Et le pis est qu'à tous les pas je heurte contre ce que j'aime et le pis est que la déchirure passe par ce que j'aime et que c'est dans ce que j'aime que je gémis dans ce que j'aime que je saigne et que c'est dans ce que j'aime qu'on me frappe qu'on me broie qu'on me réduit qu'on m'agenouille qu'on m'humilie qu'on me désarçonne qu'on me prend en traître qu'on fait de moi ce fou ce perdu cette clameur démente et le pis est que chaque mot que chaque cri chaque sanglot comme un écho retourne blesser d'où il sort et cette longue peur que j'ai de lui comme un boomerang inhumain suivez sa courbe en haut de l'air et voyez donc comme il revient le meurtrier par une merveille physique comme il revient frapper d'abord ce que je voulais protéger ce dont j'écartais son tranchant son cheminement assassin ce qui m'est plus cher que ma chair et le dedans de ma pensée ce qui m'est l'être de mon être ma prunelle ma douceur ma joie majeure mon souci tremblant mon haleine mon coeur comme un oiseau tombé du nid ma déraisonnable raison mes yeux ma maison ma lumière ce par quoi je comprends le ciel la feuille l'eau départagés le juste et l'injuste écarté de ses brumes le bien et comme le baiser d'une aube la bonté

L'amour comme celui de la patrie n'est pas exempt de déchirures, Il n'y a pas d'amour heureux chante Brassens, et lui font cortège l'hommage à Manouchian, bientôt au Panthéon, et avec lui ceux de l'affiche rouge chantée par le grand Léo — poème qui s'appelle tout simplement "strophes pour se souvenir" :

Vous n'avez réclamé la gloire ni les larmes/ Ni l'orgue ni la prière aux agonisants/ Onze ans déjà que cela passe vite onze ans/ Vous vous étiez servi simplement de vos armes/ La mort n'éblouit pas les yeux des Partisans/ Vous aviez vos portraits sur les murs de nos villes/ Noirs de barbe et de nuit hirsutes menaçants/ L'affiche qui semblait une tache de sang/ Parce qu'à prononcer vos noms sont difficiles/ Y cherchait un effet de peur sur les passants/ Nul ne semblait vous voir Français de préférence: Les gens allaient sans yeux pour vous le jour durant/ Mais à l'heure du couvre-feu des doigts errants/ Avaient écrit sous vos photos MORTS POUR LA FRANCE/ Et les mornes matins en étaient différents/ Tout avait la couleur uniforme du givre/ À la fin février pour vos derniers moments/ Et c'est alors que l'un de vous dit calmement/ Bonheur à tous Bonheur à ceux qui vont survivre/ Je meurs sans haine en moi pour le peuple allemand/ Adieu la peine et le plaisir Adieu les roses/ Adieu la vie adieu la lumière et le vent/ Marie-toi sois heureuse et pense à moi souvent/ Toi qui vas demeurer dans la beauté des choses/ Quand tout sera fini plus tard en Erivan/ Un grand soleil d'hiver éclaire la colline/ Que la nature est belle et que le coeur me fend/ La justice viendra sur nos pas triomphants/ Ma Mélinée ô mon amour mon orpheline/ Et je te dis de vivre et d'avoir un enfant/ Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent/ Vingt et trois qui donnaient leur coeur avant le temps/ Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant/ Vingt et trois amoureux de vivre à en mourir/ Vingt et trois qui criaient la France en s'abattant

Ces étrangers en France, en miroir là encore renvoient Aragon à ses souvenirs de l'URSS à l'avenir fragile, dans cette Nuit de Moscou qui est un des prodromes de l'œuvre, écrit en 1954 à l'issue des Yeux et la mémoire :

Ici j'ai tant rêvé marchant de l'avenir/ Qu'il me semblait parfois de lui me souvenir/ Et ma fièvre prenait dans mes mains sa main nue/ Il chantait avec moi les mêmes chansons folles/ Je sentais son haleine et déjà nos paroles/ Traduisaient sans effort les choses inconnues [...]/ On sourira de nous pour le meilleur de l'âme/ On sourira de nous d'avoir aimé la flamme/ Au point d'en devenir nous-mêmes l'aliment/ Et comme il est facile après coup de conclure/ Contre la main brûlée en voyant sa brûlure/ On sourira de nous pour notre dévouement/ Quoi je me suis trompé cent mille fois de route/ Vous chantez les vertus négatives du doute/ Vous vantez les chemins que la prudence suit/ Eh bien j'ai donc perdu ma vie et mes chaussures/ Je suis dans le fossé je compte mes blessures/ Je n'arriverai pas jusqu'au bout de la nuit/ Qu'importe si la nuit à la fin se déchire/ Et si l'aube en surgit qui la verra blanchir/ Au plus noir du malheur j'entends le coq chanter/ Je porte la victoire au coeur de mon désastre/ Auriez-vous crevé les yeux de tous les astres/ Je porte le soleil dans mon obscurité

Et le roman s'achève de lui-même :

Et le roman s'achève de lui-même/ J'ai déchiré ma vie et mon poème/ Plus tard plus tard on dira qui je fus/ J'ai déchiré des pages et des pages/ Dans le miroir j'ai brisé mon visage/ Le grand soleil ne me reconnaît plus/ J'ai déchiré mon livre et ma mémoire/ Il y avait dedans trop d'heures noires/ Déchiré l'azur pour chasser les nues/ Déchiré mon chant pour masquer les larmes/ Dissipé le bruit que faisaient les armes/ Souri dans la pluie après qu'il a plu/ Déchiré mon coeur déchiré mes rêves/ Que de leurs débris une aube se lève/ Qui n'ai jamais vu ce que moi j'ai vu

Qu'est-ce qui l'emporte alors ? L'amertume et l'espoir se disputent la scène.

L'amertume amèrement chantée :

Je traîne après moi trop d'échecs et de mécomptes/ J'ai la méchanceté d'un homme qui se noie/ Toute l'amertume de la mer me remonte/ Il me faut me prouver toujours je ne sais quoi/ Et tant pis qui j'écrase et tant pis qui je broie/ Il me faut prendre ma revanche sur la honte/ Ne puis-je donner de la douleur Tourmenter/ N'ai-je pas à mon tour le droit d'être féroce/ N'ai-je pas à mon tour droit à la cruauté/ Ah faire un mal pareil aux brisures de l'os/ Ne puis-je avoir sur autrui ce pouvoir atroce/ N'ai-je pas assez souffert assez sangloté/ Je suis le prisonnier des choses interdites/ Le fait qu'elles le soient me jette à leur marais/ Toute ma liberté quand je vois ses limites/ Tient à ce pas de plus qui la démontrerait/ Et c'est comme à la guerre il faut que je sois prêt/ D'aller où le défi de l'ennemi m'invite/ Toute idée a besoin pour moi d'un contrepied/ Je ne puis supporter les vérités admises/ Je remets l'évidence elle-même en chantier/ Je refuse midi quand il sonne à l'église/ Et si j'entends en lui des paroles apprises/ Je déchire mon coeur de mes mains sans pitié/ Je ne sais plus dormir lorsque les autres dorment/ Et tout ce que je pense est dans mon insomnie/ Une ombre gigantesque au mur où se déforme/ Le monde tel qu'il est que follement je nie/ Mes rêves éveillés semblent des Saint Denis/ Qui la tête à la main marchent contre la norme/ Inexorablement je porte mon passé/ Ce que je fus demeure à jamais mon partage/ C'est comme si les mots pensés ou prononcés/ Exerçaient pour toujours un pouvoir de chantage/ Qui leur donne sur moi ce terrible avantage/ Que je ne puisse pas de la main les chasser/ Cette cage des mots il faudra que j'en sorte/ Et j'ai le coeur en sang d'en chercher la sortie/ Ce monde blanc et noir où donc en est la porte/ Je brûle à ses barreaux mes doigts comme aux orties/ Je bats avec mes poings ces murs qui m'ont menti/ Des mots des mots autour de ma jeunesse morte

Ou l'utopie soviétique, encore, placée sous les auspices du souvenir de Vladimir Maïakovski, le beau-frère d'Elsa rencontré comme elle à la Coupole, en 1928 :

J'ai connu les entassements entre des murs jamais repeints/ J'ai connu les appartements qu'on partage comme une faim/ Comme un quignon de pain trouvé l'angine atroce des couloirs/ Les punaises les paravents les cris et les mauvais vouloirs/ J'ai connu le manque de tout qui dure depuis des années/ Quand une épingle est un trésor Et les enfants abandonnés/ Et tous les soirs dans les tramways ces noires grappes de fatigue/ Aux marchepieds où les fureurs et la brutalité se liguent/ Et les souliers percés l'hiver dans une ancienne odeur de choux/ Et les bassesses qu'on ferait pour s'acheter des caoutchoucs/ Pourtant c'est dans ces heures-là cette crudité d'éclairage/ Je ne m'explique aucunement comment s'est produit ce mirage/ Que j'ai pour la première fois senti sur moi des yeux humains/ Frémi des mots que prononçaient des inconnus sur mon chemin/ Tout comme si j'avais reçu la révélation physique/ Du sourd à qui l'on apprend un jour ce que c'est que la musique/ Du muet à qui l'on apprend un jour ce que c'est que l'écho [...]/ Comment trouver les mots pour exprimer cette chose poignante/ Ce sentiment en moi dans la chair ancré qu'il pleuve ou qu'il vente/ Que tout ce que je fais tout ce que je dis tout ce que je suis/ Même de l'autre bout du monde aide ce peuple ou bien lui nuit/ Et nuit à mon peuple avec lui/ Crains ah crains jusque dans tes rêves/ Quand l'outil pèse qu'on soulève d'agir comme un briseur de grève
Mathieu-Erre
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le 27 sept. 2023

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Mathieu Erre

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