Coe est un excellent trousseur de romans originaux. Un savoir faire, une aisance, celle de l'artisan qui connait son métier. Qui sûr de son art, nous épargne les petits numéros d'auteur en quête de considération. La délicatesse d'incarnation, cette habilité à mêler l'Histoire à la fiction, on retrouve tout ceci dans cet ouvrage un peu gargantuesque: un livre choral sur trois quart de siècle, de la seconde guerre au "celle" du Covid. Très ambitieux de vouloir donner corps à autant de personnages (même si certains plus centraux), la plus part dans différent âges de leur vie. En découle forcément une peinture pointilliste, des récits pointillés. Un récit morcelé (qui autorise aussi une variété heureuse de forme) mais cohérent. Par petits rappels disséminés, les morceaux en maillons font chaines.
Riche en matière humaine. On songe tout de suite que transposé au cinéma (ce serait une gageure, pour un temps encore), ce serait magnifique. Car les êtres au cinéma, c'est de l'incarnation immédiate et parfaite lorsqu'elle est correctement menée. Car c'est le seul bémol qu'on pointera, là le médium coupable, il est difficile de donner corps et chair en quelques petites pages (puisque là, tous les protagonistes doivent se les partager un peu et que Coe a fait le choix heureux d'un roman à taille raisonnable). Ce petit défaut, ce déficit d'incarnation, c'est ce qu'il aura manqué pour que le livre pleinement nous saisisse.