Reconnaissons à Ozon une certaine audace: s'atteler à l'adaptation de ce monument singulier de la littérature, c'est clairement mettre sa ceinture de champion d'un cinéma qui réunit critique et public en jeu. Comment fallait il aborder ce travail ? On espérait quelque chose de radical dans la forme; audace pour audace. Il n'en est rien. Adaptation qui semble (on a un souvenir imparfait de l'ouvrage) bien littérale. Hors un verni de contexualisation malheureusement jugé indispensable en ces temps de contritions, le film semble coucher le livre sur pellicule. Avec une série de choix faibles et peu heureux. Ce noir et blanc pour commencer, ouvrant certes la porte à un envahissement de la lumière, cible convenue, mais donc atteinte de pauvre manière. D'autant qu'il est luxueux ce noir et blanc, qu’il enlève toute âpreté à la matière. Parfois de contempler ces créatures sublimes comme au travers d'un filtre Harcourt. Car là le second et même premier problème majeur. Alors certes chacun de visualiser son Meursault à sa manière, mais Benjamin se situe en tous points à l'opposé du spectre où on le situait. Pas uniquement un problème de beauté plastique (parfois tout de même l'impression d'être devant une pub pour maillot de bain Calvin Klein (Ozon aime les corps. Il ose même trainer de trop sa caméra sur l'"Arabe", mélangeant les vertiges. Certes Camus n'était pas un modèle de chasteté, mais ce n'est pas ce qui faisait le sel de son oeuvre). Mais aussi pour ce que la "star" charrie en terme d'image. Modèle de coolitude, Benjamin, tout en efforts, échoue là où un Delon, beauté de marbre, aurait pu dépasser le fardeau de son éclat. Il faut dire qu'en lui adjoignant une Rebecca du même calibre (il n'était pas nécessaire que le désir contenu de Meursault fut partagé de façon aussi triviale avec un spectateur qui lui ne se contiendra pas), il forme un couple parfaitement glamour auquel on se demande ce que la vie peut refuser. Impasse dans le cheminement du spectateur.
Le reste du casting se permet de n'être pas plus heureux. Lottin dans le registre qui est le sien ne produit plus rien (comme un Quenard, il tourne en rond). Le sublime Denis Lavant, dans sa démesure habituelle, écrase son personnage. Succession de numéros qui vous extraient du récit.
Pour finir une construction maladroite: à vouloir échapper à l'énoncée de ces mots fracassant et indépassables, Ozon déconstruit la ligne de temps pour rien (pour notre part on aurait bien vu plein écran, en typo grasse, ces mots claquer juste après le générique; un truc à la Noé). L'habillage sonore ne fait pas mieux: un truc informe, au dessein incertain. On reste circonspect.
Ozon rate son coup. On lui pardonne, ce n'était pas le plus simple de hold-up.