Après De beaux lendemains, je poursuis ma découverte de Russell Banks avec toujours autant de bonheur. Excellent conteur, il me fait découvrir un autre aspect de son talent avec Le royaume enchanté : l'exploration de l'Histoire américaine. En l'occurrence, l'Histoire de la Floride et des communautés utopistes, de tendance communiste comme les Ruskinites, ou de tendance chrétienne comme les Shakers.
Le héros du roman enregistre sur des bandes l'histoire de sa vie dans une famille blanche pauvre. Orphelin de père très tôt, il passera une année dans une plantation aux conditions de vie très dures, tant pour les noirs que pour les blancs, pour enfin en être libéré par l'Aîné John, chef d'une petite communauté appelée la Nouvelle Béthanie; il paiera les dettes de la famille et les accueillera dans cette communauté chrétienne où la foi, le don de soi et le travail sont les valeurs primordiales. Modèle idéal de l'homme intègre et intelligent, l'Aîné John formera Harley Mann et l'aimera comme son fils ( une particularité de cette communauté, outre le fait d'élever une de ses fondatrices au même rang que Dieu, est de proscrire toute relation sexuelle à ses membres) avant que ce dernier ne révèle son impossibilité à croire et à respecter les règles de sa famille d'accueil liée à sa faiblesse si banalement humaine, allant même jusqu'à trahir les siens. Mann trahira ce royaume enchanté par goût de l'argent et du sexe. Rejeté par sa communauté, il fera fortune dans l'immobilier et vendra les belles terres que les Shakers avaient fait fructifier, ironie suprême, au triomphe du capitalisme : la compagnie Disney . Encore aujourd'hui, ces terres autour d'Orlando sont le fief de ce puissant monde de l'artifice là où régnait la volonté de quelques utopistes de construire un monde meilleur...
Symbole de l'Amérique ayant abdiqué ses idéaux pour se livrer au séduisant veau d'or? symbole de l'humanité ? Banks livre là une œuvre testamentaire assez désenchantée malgré son titre.