Le Tartuffe
7.1
Le Tartuffe

livre de Molière (1669)

Lu en Mars 2022. Ed Classique Larousse. 7,5/10


La préface est tout à fait intéressante. Molière y décrit la répression qu'il a subi de la part des puissants hypocrites qui l'ont condamné et il tente, par ce biais, de défendre la bonté morale de sa pièce.
"Voici une comédie dont on a fait beaucoup de bruit, qui a été longtemps persécutée ; et les gens qu'elle joue ont bien fait voir qu'ils étaient plus puissants en France que tous ceux que j'ai joués jusqu'ici." (Début - p27)


"J'ai mis tout l'art et tous les soins qu'il m'a été possible pour bien distinguer le personnage de l'hypocrite d'avec celui du vrai dévot." (p28)


"Si l'emploi de la comédie est de corriger les vices des hommes, je ne vois pas pour quelle raison il y en aura de privilégiés." (Idem)


Ainsi, il défend par extension le théâtre et la comédie face aux autorités religieuses : "L'on doit approuver la comédie du Tartuffe ou condamner généralement toutes les comédies." (p29)


"Supposé, comme il est vrai, que les exercices de la piété souffrent des intervalles, et que les hommes aient besoin de divertissement, je soutiens qu'on ne leur en peut trouver un qui soit plus innocent que la comédie" (p31)


Acte I : Ce n'est pas encore à mourir de rire mais l'action est posée. Beaucoup ont déjà vu que Tartuffe est un faux-dévot, mis à part les gens avec le plus de pouvoir : le patriarche et sa mère. Ce même Orgon, joué à l'époque par Molière, semble tout à fait idiot et ça sera son potentiel comique.
"DORINE : Madame eut, avant-hier, la fièvre jusqu'au soir, / Avec un mal de tête étrange à concevoir.
ORGON : Et Tartuffe ?
D : Tartuffe ? il se porte à merveille, / Gros et gras, le teint frais et la bouche vermeille.
O : Le pauvre homme !" (v231-235, I-4)


En revanche, Cléonte, le beau-frère, semble avoir du pouvoir et de la parole pour révéler au grand jour la véritable identité morale de Tartuffe.
"Hé quoi! vous ne ferez nulle distinction/ Entre hypocrisie et la dévotion ?" (v331-332, I-5)


Tartuffe développerait apparemment une philosophie stoïcienne et qui tiendrait sans doute de la raideur du Jansénisme..
Il n'apparaît pas encore, mais est longuement décrit par Dorine comme Oronte le voit :
"Enfin il en est fou ; c'est son tout, son héros !
Il l'admire à tous coups, le cite à tous propos,
Ses moindres actions lui semblent des miracles
Et tous les mots qu'il dit sont pour lui des oracles." (v195-198, I-2)


"C'est un homme… qui… ah! … un homme… un homme enfin. / Qui suit bien ses leçons goûte une paix profonde / Et comme du fumier regarde tout le monde." (Oronte, v272-274, I-5)


Acte II : Cet acte est une véritable démonstration de l'importance de la servante chez Molière (et même dans le théâtre classique). Dorine est omniprésente et extrêmement drôle et intelligente.
Le spectre de Tartuffe continue de planer sur les personnages, la première impression risque d'être forte parce qu'il semble être un personnage très haut en couleur.
Comme toujours, il n'y a pas une moquerie univoque. Certes Oronte est moqué pour son évidente naïveté et son excessive bigoterie, mais il est aussi à plaindre car manifestement manipulé.
La scène de dispute amoureuse entre Valère et Mariane est clichée mais très bien écrite et assez légère, ça fonctionne très bien !


"Il est bien difficile enfin d'être fidèle / A de certains maris faits d'un certain modèle, / Et qui donne à sa fille un homme qu'elle hait / Est responsable au ciel des fautes qu'elle fait." (Dorine à Oronte, II-2, v512-514) -> C'est quand même un sacré discours, Oronte est salement têtu pour ne pas l'entendre.


Dans cet acte, il y a tout un discours assez féministe sur la femme libertine pas plus mauvaise que l'homme libertin. Même, il est normal de rendre son mari cocu quand on est nous même trompée.
"Lui dire qu'un coeur n'aime point par autrui ; / que vous vous mariez pour vous, non pas pour lui ; / Qu'étant celle pour qui se fait toute l'affaire, / C'est à vous, non à lui, que le mari doit plaire, / Et que, si son Tartuffe est pour lui si charmant, / Il le peut épouser sans nul empêchement." (Dorine à Mariane, II-3, v591-596)


Il y avait tout dans cette pièce pour créer l'antonomase Tartuffe : "Vous serez, ma foi, tartuffiée." (v 674)


Acte III : C'est l'acte de l'apparition de Tartuffe. Il joue le dévot relativement mal face au grand public puisqu'il déclare sa flamme avec ardeur (et perversité) à Elmire :
"Ah ! pour être dévot, je n'en suis pas moins homme ; / Et lorsqu'on vient à voir vos célestes appas, / Un coeur se laisse prendre et ne raisonne pas. / Je sais qu'un tel discours de moi paraît étrange ; / Mais, madame, après tout, je ne suis pas un ange, / Et, si vous condamnez l'aveu que je vous fais, / Vous devez vous en prendre à vos charmants attraits." (III-3, v966-972) - La culpabilisation du corps des femmes ne date pas d'hier !


Puis il joue le dévot à fond devant Oronte qui est quasiment amoureux de lui. La force de Tartuffe, c'est que même sans avoir beaucoup de volume de parole, ses mots forts de lyrisme détonnent : "Oui, mon cher fils, parlez, traitez-moi de perfide, / D'infâme, de perdu, de voleur, d'homicide ; / Accablez-moi de noms encor plus détestés ; / Je n'y contredis point, je les ai mérités, / Et j'en veux à genoux souffrir l'ignominie, / Comme une honte due aux crimes de ma vie. (III-6, v1101-1116)
On croirait entendre Cinna.


C'est Damis qui a fait capoter le chantage de Tartuffe par Elmire et Dorine, et cela à cause de son orgueil d'homme.


Pendant ce temps, Dorine est toujours aussi génial !
"TARTUFFE : Couvrez ce sein que je ne saurais voir. / Par de pareils objets les âmes sont blessées, / Et cela fait venir de coupables pensées.
DORINE : Vous êtes donc bien tendre à la tentation, / Et la chair sur vos sens fait grande impression ! / Certes, je ne sais pas quelle chaleur vous monte, / Mais à convoiter, moi, je ne suis pas point si prompte, / Et je vous verrais nu du haut jusques en bas / Que toute votre peau ne me tenterait pas.
TARTUFFE : Mettez dans vos discours un peu de modestie" (III-2, v860-869)


Acte IV : J'étais tout à fait persuadé que la scène du flagrant délit serait le climax et qu'il serait humilié à ce moment-là. Mais que nenni !
Tartuffe qui est bel et bien tombé dans le piège d'Elmire n'a que faire de passer encore pour dévot auprès de quiconque puisque la fortune d'Oronte lui appartient désormais. Le dernier acte va donc sans doute consister en la résolution d'un vice de procédure dans le legs ou quelque chose du style (ça serait presque décevant).


La scène où Orgon est invité à se cacher sous la table (IV-4) doit être hilarante à voir en vrai. On l'humilie le pauvre vieux.


"Le ciel défend, de vrai, certains contentements ;
(C'est un scélérat qui parle)
Mais on trouve avec lui des accommodements. / Selon divers besoin, il est une science / D'étendre les liens de notre conscience, / Et de rectifier le mal de l'action / Avec la pureté de notre intention. [...] Le scandale du monde est ce qui fait l'offense, / Et ce n'est pas pécher que pécher en silence." (IV-5, v1487-92 / 1505-06)


Acte V : Molière n'est pas le meilleur pour finir ses pièces. Il use d'un Deus Ex Machina qu'on pourrait peut être justifier, mais qui néanmoins semble assez peu vraisemblable, l'attitude de l'Exempt n'étant définitivement pas celle d'un homme de loi.
De plus, ça piétine un peu pendant tout l'acte, la fin aurait déjà dû avoir lieu à l'acte précédent, je maintiens.
Mais ça reste très bien.
Et il est difficile de nier les connivences qu'on pu exister entre Molière et Louis XIV, tant la fin loue la perspicacité du souverain face aux faux dévots de la cour.
"Nous vivons sous un prince ennemi de la fraude / Un prince dont les yeux se font jour dans les coeurs, / Et que ne peut tromper tout l'art des imposteurs." (L'exempt, V-7, v1906-08).


Enfin, il faut vraiment se sentir en danger et être sacrément susceptible pour que les forces religieuses aient qualifié cette pièce d'impiété étant donné que le personnage le plus mesuré de la pièce est de loin Cléante et est tout à fait pieux. Contrairement à Oronte qui est le stéréotype du fanatique :
"ORONTE : C'en est fait, je renonce à tous les gens de biens. / J'en aurai désormais une horreur effroyable / Et m'en vais devenir pour eux pire qu'un diable.
CLÉANTE : Eh bien ! ne voilà pas de cos emportements ! / Vous ne gardez en rien les doux tempéraments ; / Dans la droite raison jamais n'entre la vôtre." (V-1, v1604-09)


C'est bien la preuve que Molière a touché juste en se moquant de ces gens.


Enfin, je noterai que la langue de Molière ne m’a jamais paru aussi difficile, à de nombreuses reprises j’ai dû reprendre les vers en cours pour comprendre le sens car les termes spécifiques au XVIIème siècle fusent dans cette pièce.
Ça reste très lisible, et ce fut une lecture agréable en attendant de voir une représentation de cette œuvre dans un mois.


Voir très bonne critique de Cthulie-la-Mignonne

Arimaakousei
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le 13 mars 2022

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Arimaa_kousei

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