Les descriptions de Zola atteignent une virtuosité qu’on ne pourrait nier. Avalanche de goûts et d’odeurs s’écrasent dans notre esprit comme des fruits pourris sur le pavé dès le premier chapitre. La profusion d’aliments soulève le cœur, atteint une dimension pornographique écœurante mais brillante si l’on considère qu’elle se veut le reflet de la corruption de tous ces « gras » qui y vivent. Les évocations sont fortes, s’imposent avec plus de netteté qu’un tableau mais finissent par alourdir la main d’un auteur qui oublie de glisser, çà et là, une modération nécessaire à la pertinence d’une œuvre. Portrait vivant des halles, Le ventre de Paris tire de plus en plus vers la caricature au point, m’a-t-il semblé, de noyer dans les pelures de légume la sensibilité d’un lecteur qui ne sait plus très bien quel personnage soutenir. La « leçon » à tirer de la fin m’aura donc laissée de marbre, pour ne pas dire autant ennuyée que le reste du livre… Avec ses grands pas d’éléphants, Zola rappelle ses intentions toutes les cinq phrases, donc…
La caricature domine également la psychologie de chaque personnage. Pour faire tenir le système des « gras et des maigres », il fallait rester en noir et blanc, avec quelques touches de gris, bien sûr, mais trop artificielles pour délayer le ton. Bourgeois méchants, cupides, vieille fille sournoise, grosses dames près de leurs sous, révolutionnaires brailleurs, coureuses et simplets, tous les clichés du petit peuple embourgeoisé y passent. On parlera d’une synthèse, d’un moyen de montrer des caractères types, mais, devant aussi peu de nuances, je cherche encore la réalité de ces personnalités et je me demande, surtout, comment un écrivain autant bouffi de préjugé, a pu atteindre une telle notoriété auprès des classes moyennes et ouvrières. La psychologie peut fouillée des protagonistes devient particulièrement agaçante et flagrante lorsque l’auteur se sent obligé de rappeler à chacune de leurs apparitions à quel point leur nature est d’être comme ceci ou comme cela.

Et Le ventre de Paris tourne et s’enfonce sur lui-même. A peine arrivé à la moitié, le roman peine à se renouveler, se perd dans des scènes inutiles visant à rappeler encore, et encore, la saleté des lieux, des âmes, dans une contemplation complaisante d’une vérité fantasmée par les théories naturalistes. Moins déformé que les autres, Florent est une présence transparente, presque fantomatique. Par effet de contraste, il est évident que l’auteur est de son côté, que le lecteur doit l’être, mais sa langueur finit presque par donner raison à ses persécuteurs (ou je suis peut-être dans un désaccord trop profond avec Zola pour comprendre).
Les méthodes de Zola me plaisent peu, et, malgré ses efforts culinaires, je reste plus dégoûtée par la sorte de bien-pensanse inversée qui se dégage du texte, comme une impression de lavage de cerveau qui m’empêchait de lire trop de pages à la suite, avec cette petite voix qui ne cessait de me seriner « Regarde ! Regarde ! Regarde ! ». Ecran de fumée que tout cela, grotesque mise en scène qui ne se range à aucun moment du côté des « maigres » aux prétentions révolutionnaires. On en revient à ce trope désormais bien connu de l’étranger condamné à être éternellement rejeté par une société qui tient à garder son petit confort. Fait toujours tragique, évidemment, mais à par exagérer le pathos, Le ventre de Paris n’apporte pas grand-chose de plus.
Barbelo
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le 16 mai 2013

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