Il y a quelques semaines, les étudiants de dernière année de master en droit de l’Université Libre de Bruxelles ont choisi  comme marraine de promotion l’euro députée LFI Rima Hassan. Devant la polémique suscitée par cette décision, la rectrice de l’ULB a défendu ses étudiants, tenant ces propos qui m’ont paru assez lunaires : «L'indifférence persistante de nos gouvernements et responsables révolte nos étudiants et étudiantes. C'est dans ce contexte, animé par un profond sentiment d'injustice, d'indignation et d'urgence, que beaucoup d'étudiants et étudiantes trouvent un écho chez celles et ceux qui les incarnent.» Je crois rêver : ainsi, au terme d’un parcours de cinq années d’études dans une institution réputée qui naguère encore était considérée comme le temple du libre examen, ces jeunes juristes tout juste diplômés ont acquis si peu d’esprit critique que leur indignation, pour légitime qu’elle puisse être, les amène à admirer une personnalité qui manifeste un soutien à peine voilé à une organisation terroriste! 


L’esprit critique pas plus que la liberté d’expression ne sont des valeurs que cherchent à promouvoir ceux qui ont voulu faire interdire la parution de cette enquête, ou à tout le moins exercer un droit de regard sur cette dernière dont on dit un peu partout qu’elle ferait « trembler LFI ».  L’intelligence ne doit  pas non plus être leur qualité première pour ne pas avoir compris que cette menace de censure allait forcément se transformer en formidable coup de com pour un livre dont on pourrait se demander à priori s’il s’agit d’une vraie bombe ou d’un simple pétard mouillé. 


Ce que j’ai apprécié dans cet ouvrage:  tout d’abord, le témoignage d’Omar Youssef Souleimane à propos son vécu tant dans la Syrie de Bachar El Hassad que durant son séjour Arabie Saoudite, au sein d’une famille salafiste qui glorifiait le djihad. Il dépeint une société où, qu’on soit pour ou contre le régime en place, qu’on combatte ou non l’ismamisme radical, l’antisémitisme était le plus petit commun dénominateur, le mot juif étant une des pires insultes qui soient. Il décrit les relations complexes entre les pays du Moyen Orient, leurs rapports avec les différentes organisations terroristes  qui composent l’islamisme radical: frères musulmans (nous renseignant au passage sur leurs liens avec le nazisme), Hamas, Hezbollah…


Comme de nombreux exilés qui ont eu à subir le fondamentalisme islamiste et considèrent la France comme le pays des Lumières et de la liberté, Omar Youssef Souleimane a du mal à comprendre l’accointance entre une certaine gauche et l’islamisme qu’il connaît si bien. Cette réalité, il l’oppose à la vision fantasmée promue par de nombreux membres de LFI à propos de la Palestine, sans évidemment pour autant défendre la politique de Netanyahou. C’est pour démontrer ces relations toxiques que le journaliste infiltre les manifs et rassemblements pro Gaza organisés par LFI et la NUPES, à l’occasion desquels sont invités divers orateurs connus pour être liés à des mouvances islamistes, où les slogans scandés ne laissent aucun doute sur l’antisémitisme qui anime les manifestants. Çà et là, des banderoles appellent à la vengeance et à la libération de terroristes.  Pour ceux qui en douteraient encore, Souleimane dévoile au grand jour, en les nommant, ceux qui se font les complices de l’islamisme radical. Par niaiserie, par opportunisme ? Qu’importe, quelles qu’en soient les raisons, ces rapprochements sont des plus dangereux. Je suis loin de connaître tous les noms qu’il cite et à part ceux qui me parlaient déjà (Bompard, Hassan, Panot, Caron…) je n’en ai pas retenu des masses.  Comme on s’en doute, l’auteur dit tout le mal qu’il pense du chef de file de cette gauche qui a renié ses valeurs et ses idéaux. Si vous voulez en savoir plus, allez lire l’ouvrage , il n’est pas bien gros.  


Passons maintenant à ce qui me laisse perplexe. En premier lieu, comme souvent dans ce type d’enquête de terrain, un axe analytique un peu faiblard. J’ai l’impression que l’auteur enfonce des portes ouvertes quand il dénonce la double instrumentalisation qui régit les relations entre LFI et l’islamisme  dont elle emprunte par opportunisme le discours victimaire et communautariste qui fait mouche dans les banlieues comme dans les amphithéâtres, permettant à la formation d’engranger un max de suffrages.  Si l’ouvrage est édifiant sur le plan de l’investigation, au fond il ne m’a pas appris grand-chose sur les inquiétantes dérives de l’ultra-gauche dont j’ai depuis bien longtemps appris à me méfier.  Autre bémol : quelques expressions du style « la gauche halal »  qui donnent à cette démonstration un ton polémique, faisant le jeu de ceux qui ne manqueront pas d’assimiler le livre à un pamphlet. 


Reste un constat, que je partage avec l’auteur: celui que la liberté de pensée, le refus des compromissions et le rejet des extrêmes se font aujourd’hui au prix d’une grande solitude. Dans un monde de plus en plus polarisé, de plus en plus radical, de plus en plus haineux, il est difficile de choisir la nuance et la confrontation d’idées plutôt que les anathèmes. Ce qui anime l’auteur et explique sa résilience c’est, nous confie-t-il,  sa conviction que l’Histoire jugera « ceux qui combattent l’intolérance … pour la pureté de leur engagement ». Peut-être. La pureté fait partie de ces concepts qui me mettent mal à l’aise, les plus fanatiques n’étant pas les derniers à s’en réclamer. Pour ma part, il me suffit de faire preuve d’honnêteté intellectuelle pour être en accord avec moi-même, ce qui n’est déjà pas si mal. 

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