J'avais été particulièrement séduit par les 2 premiers tomes de Dune, notamment par leur richesse thématique et leur construction avec les maximes en début de chapitre, mais je trouvais que la formule du second était très identique au précédent et venait comme une sorte de simple ajout, voire de rectification à l'univers créé par Herbert.
Ce tome 3 intervient comme une rupture dans la saga, en allant au-delà de la simple densité politique et en utilisant le langage et l'imaginaire pour amener un aspect mythologique, incluant de véritables scènes de transe et de fantastique au récit. J'aime beaucoup l'audace de cette transition : si ici tout semblait possible - tant qu'on accepte le contexte initial, le récit entre progressivement dans un délire de transformation à la Cronenberg / Kafka qui apporte une grande fraicheur au lecteur et ouvre de nouvelles possibilités.
Le style est varié, joue énormément sur les oppositions dans les paysages, les temporalités, les personnages, les ambitions, ce qui va dans le sens de Paul - pardon, du Prêcheur - qui nous apprend qu'il n'y a pas d'absolus et que si une chose existe, son contraire aussi.
Chaque personnage porte un symbole majeur, de celui qui sacrifie son humanité pour essayer de la sauver, au héros déchu, en passant par la cheffe en perdition rongée par ses démons telle une protagoniste de tragédie grecque...
Ici, bien que Herbert conserve et approfondisse l'importance de la compréhension des écosystèmes, ainsi que la décortication et la critique des théocraties, il laisse davantage place à une réflexion philosophique sur le poids insoutenable du déterminisme et sur le côté inexorable de la répétition de schémas dans les sphères politiques, où le déclin succède fatalement à la révolution et la construction, où le changement est inévitable, où l'immobilisme du pouvoir en place sans sensibilité est vouée à l'échec, et où l'homme savant est écrasé par la tristesse de ne pas savoir comment amener la paix et la stabilité.
Leto incarne parfaitement cet être qui voulait amener la nouveauté, la solution inédite, radicale et sensible qui amènerait cette paix cherchée par l'humanité. Il passe d'abord par une phase très humble d'apprentissage et d'ouverture de l'esprit, et finit par s'enfermer dans une vision totale qui semble davantage répéter le passé que constituer un quelconque salut. Et la partie que j'ai préférée réside sûrement dans la prise de recul sur l'étude de l'histoire, Herbert amenant à ne pas avoir la prétention de tout comprendre grâce à son étude, parce que les circonstances changent et que chaque nouvelle ère amène ses règles propres.
J'aime particulièrement la froideur absolue de cet univers de Dune, la tristesse qui s'en dégage. Les ouvrages traitant du libre-arbitre sont souvent beaucoup trop tendres et n'osent pas aller à fond dans leur parti pris, mais ici... Tous les personnages semblent se perdre dans leurs aspirations, tous ont leur part de lumière et leur part d'ombre mais sont absolument incapables de faire les bons choix malgré leurs calculs astronomiques. Comme si la bonne solution n'existait pas et que la suprême intelligence ne faisait que détourner l'être du bonheur en le faisant prendre conscience que le destin est implacable et que nous ne sommes que des petits cloportes inversement proportionnels à notre prétention. Sympa l'ambiance !
Toutefois, si je salue l'audace de renouveler la formule et de ne pas tourner en rond dans la saga, je ne sais pas si j'ai été autant convaincu que par la sobriété des 2 premiers tomes qui formaient une sorte de grand livre de la politique, de la religion et de l'environnement.
En effet, si ces thèmes sont globalement bien traités, avec une richesse assez impressionnante, j'ai eu tendance à penser que ce tome se perd dans sa volonté d'être à la fois un ouvrage indépendant et une partie d'une saga.
Les changements de ton et les scènes surprenantes font clairement le charme de ce bouquin, mais j'ai parfois eu du mal avec l'alternance entre des propos extrêmement sérieux, presque des essais politiques et philosophiques, et des scènes qui servent de façon assez évidente à faire évoluer un cosmos et des personnages. Disons que si j'aime qu'un univers soit construit et utilisé pour faire passer des idées, j'ai trouvé ici qu'il y avait un petit déséquilibre entre la volonté d'approcher un vrai discours, et celle de développer un univers avec plein de codes et de concepts qui donnaient parfois un aspect un peu brouillon. Quelques composantes - que ce soit dans les "messages" ou dans les éléments mythologiques - semblent être survolées ou parfois se diluer dans la densité de ce qui est présenté.
Je reste tout de même fasciné par la faculté de Herbert à créer un univers aussi riche et visionnaire, mêlant plein de perspectives sur des sujets variés et complémentaires. S'il n'y a pas de radicalité majeure dans le style littéraire, la construction avec les maximes et la sélection d'un langage froid et détaché servent parfaitement ce que l'auteur construit.
Et si, au lieu de l'obsession du contrôle et de la stabilité, le bonheur et la pérennité résidaient dans le fait de ne pas savoir de quoi est fait demain, dans l'instinct et la légèreté, peu importe à quel point on est déterminé ?
Hâte de lire la suite même si j'ai quelques limites concernant ce tome 3 !