Un homme m'a offert un livre après notre rencontre.

J'ai lu la première nouvelle plusieurs fois, qu'il m'a dit être son œuvre préférée. Je me demande parfois s'il m'a dit la vérité ou s'il est juste beau parleur car le livre est neuf, presque intouché, l'étiquette toujours présente et peu abîmée. Il se pourrait aussi qu'il soit délicat avec ses livres, qu'il ne l'ait lu qu'une fois, ou que le livre soit simplement récent. Ou que je cherche à me venger d'un homme qui m'a blessé en trouvant une raison de le mésestimer.

Ma lecture de Lettre d'une inconnue est intrinsèquement liée à cette rencontre. Une seule et unique rencontre qui me marquera longtemps. Je ne prendrai pas la peine de détailler à chaque fois les parallèles que je fais entre la Lettre et cette rencontre, il faut l'avoir lu.

La femme dont on ne connaîtra, comme l'homme de la nouvelle, jamais le nom ni même le visage (si ce n'est le fait qu'elle soit très belle) est touchante, très touchante. Son amour est tellement présent qu'on s'en sentirait presque enveloppé nous aussi. Sa destinée tragique pèse sur nous dès les premières lignes.

C'est donc presque un non-sens pour moi de me retrouver en elle.

Avec la littérature, on peut rêver d'un amour pur, unique, qu'il soit réciproque ou non, prêt à tout sacrifice même la mort ; sans jamais rien attendre en retour de l'être aimé.

Cette femme, elle, ne voulait qu'un peu de reconnaissance. Elle n'en a pas eu. Pas vraiment.

C'est dur pour moi à accepter. Je me demande si c'est vraiment de l'amour, simplement de l'amour, pas de l'ego. Je n'arrive pas à oublier cette rencontre. Il y a des présences qui vous hantent et qui ne vous parlent pas.

Ce n'est pas le genre d'homme que j'estime habituellement, mais je ferai toujours le deuil d'une relation (j'entends ici seulement un lien, la volonté de rencontrer l'autre) qui n'a pas eu lieu et qui n'aura jamais lieu, non pas par amour, mais par ego. On se sent vulnérable, démasqué, effacé. Ou pire, utilisé. J'ai toujours ce sentiment d'avoir été ignorée, une impression de vide dans le cœur laissée par un homme qui vous a marqué et qui ne se souviendra pas de vous demain. Je ne garde aucune trace de notre rencontre à part ce livre, mon regret, ma blessure, ma douleur, ma déception, mon dégoût de moi-même, la perte de mon honneur, le mépris des autres, des hommes.

On voudrait se voir en l'autre et on ne trouve rien. Pas même un salut. Seulement l'indifférence.

Tout cela alors même que je ne l'aime pas et que je ne l'aurais probablement pas aimé ou du moins pas assez, puisque mon cœur appartient bien à un autre. C'est déjà une différence (ouf) avec la femme que Zweig nous présente.

Là où il y a des causes, il y a des conséquences et ça s'applique aux sentiments comme aux relations. J'ai essayé et j'essaye encore parfois de croire que cet homme était génial et qu'il m'a remarquée car je dois être géniale aussi, et parce qu'il m'a ignorée, je ne supporte pas d'être mise de côté puisque je l'ai idéalisé. Je l'envie d'être spirituel (d'ailleurs, presque tous les hommes que j'ai connus et appréciés le sont alors que mon cœur reste fermé) car ça doit être rassurant et apaisant de penser qu'un Dieu vous aime et vous réserve le meilleur pour l'avenir. Que la vie ici-bas n'est pas l'essentiel. Que seules les intentions de votre cœur comptent, et qu'Il les voit. Vivre pour un homme ou une femme dans l'égarement total, en comparaison, c'est une promesse de souffrance, sans qu'il y ait forcément de sens derrière cette même souffrance. L'amour devient une prison dorée pour ceux qui y voient une fin en soi. Alors quand un homme ou une femme est tout ce que vous n'êtes pas, c'est facile de se raccrocher au moindre regard qu'il ou elle voudrait bien vous accorder.

"Je t'aime, - et alors ? ".

C'est finalement une intrigue cliché avec des personnages qui le sont tout autant et je n'en veux pas à Zweig parce que oui les gens sont futiles, plus médiocres qu'ils ne veulent le voir, et que les relations humaines se basent sur peu de choses du moment qu'il y a un intérêt partagé entre deux personnes. La valeur des gens est celle qu'on veut bien leur donner et n'a rien de substantielle. Ce n'est pas forcément mauvais, mais c'est pervers. Les œuvres qui nous ressemblent sont parfois les moins complexes et les plus cruelles.

Quand on se projette dans un personnage, qu'on infuse nos affects et nos expériences dans un livre, on peut en faire une lecture plus douce ou plus amère. La première fois que je l'ai lu, j'étais seulement émue. J'avais de la pitié et de l'admiration pour cette femme qui aura été fidèle toute sa vie au seul homme qui n'aura jamais rien remarqué d'elle à part une féminité assez à son goût. J'ai de la peine pour elle qui aura perdu ce bébé, la trace du seul semblant d'amour qu'il lui a accordé. Moi, je n'ai qu'un livre, et c'est déjà assez pour psychoter.

Je crois que si elle avait cherché et compris les causes de son obsession, elle aurait pu vivre plus tranquille, mais ce n'est pas l'intérêt de son personnage.

La passion est une maladie.

Maintenant, quand je relis cette lettre, j'y vois l'ego blessé mais sublimé d'une femme et celui flatté d'un homme, plus vraiment de l'amour comme on l'entendrait. J'y vois ma propre conscience entachée, mes névroses, l'angoisse du doute. Mais il y a aussi beaucoup d'émotions sincères chez les deux partis de cet amour qui n'a jamais su être vraiment, c'est-à-dire une grande tendresse finalement partagée à la fin du récit, cette même tendresse qui est notre seul réconfort ici(-bas) quand l'amour doit se confronter à la séparation, l'indifférence, l'oubli.

Enfin, je dois dire que comme elle, je ne lui reproche rien. Ça ne sert à rien d'en vouloir à quelqu'un qui ne nous a jamais rien promis.

Lecture aigre-douce.

Gasparde-de-la-nuit
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le 13 mars 2024

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