Limonov
7.7
Limonov

livre de Emmanuel Carrère (2011)

Voilà, Emmanuel Carrère livre à nouveau le récit d'une autre vie que la sienne… Un texte assez révélateur de sa méthode, et de ses artifices.


Comme d'habitude, en faisant le détour par ces autres vies, Carrère parle en réalité beaucoup de lui-même. Ici, deux problématiques majeures de la narration se rejoignent : car en étudiant le dispositif narratif mis en place par Emmanuel Carrère, on se rend compte que celui-ci poursuit un but : se raconter soi-même. La mise en intrigue de la part d'Emmanuel Carrère d'autres vies que la siennes, lui permet de se mettre en scène, d'abord en tant que narrateur, quelques fois comme figurant, observateur, acteur et même, bien sûr, metteur en scène.


Dans ce nouveau récit, il écrit à la première personne, assumant sa subjectivité, fusionnant parfois avec son personnage, d'autres fois le regardant de l'extérieur, avec l’objectivité du scientifique. C'est une recette qui marche depuis l'Adversaire (POL, 2000), mais Carrère, s'il creuse pour ainsi dire son sillon, ne tombe jamais dans la facilité. Chez lui, l'écriture n'est pas une routine, c'est une arène et chaque livre est une nouvelle bataille, avec ses difficultés propres, ses obstacles qui lui faut contourner. Cette fois-ci, c'est à un personnage flamboyant, crâneur, pathétique, sulfureux, qu'il décide de s'attaquer : Édouard Limonov. Un personnage moralement ambigu comme toujours, auquel il faut (bien entendu) beaucoup de moralité pour s'attaquer. Le lecteur découvre un écrivain russe, un aventurier, un fasciste, un révolutionnaire. Une vie de « pirate » en somme, une vie trépidante pleine de zones d'ombre et d'éclats fulgurants. Et le narrateur, entremêlant sa propre existence à celle de son sujet, semble faire un aveu silencieux : la vie dont il nous parle, c'est une vie qu'il admire, une vie qu'il a sans doute valu le coup d'avoir vécu, une vie qu'il aurait voulu mener, une vie plus aventureuse, celle d'un homme audacieux, téméraire, peut-être même dangereux, un « salaud » trop vivant au fond pour être un véritable écrivain. Alors que lui-même, Emmanuel Carrère, dont l'histoire personnelle est somme toute assez banale, n'est-il pas trop écrivain pour avoir véritablement été en vie ?

Peter_Saras
9
Écrit par

Créée

le 9 août 2015

Critique lue 236 fois

3 j'aime

Critique lue 236 fois

3

D'autres avis sur Limonov

Limonov
guyness
8

Le virus d'une vie russe

Un héros romanesque, dans la "vraie" vie (vaste définition), est généralement le fruit de deux catégories. Il y celui, qui, confronté à une situation extraordinaire, a réagi d'une façon telle que ses...

le 11 févr. 2012

23 j'aime

3

Limonov
MarianneL
5

Critique de Limonov par MarianneL

Limonov permet de confirmer l'idée qu'un sujet fascinant ne fait pas un grand livre. La vie de Limonov est effectivement fascinante. Hélas, le livre pourrait s'appeler «Limonov pour les nuls»...

le 19 avr. 2012

18 j'aime

1

Limonov
Pravda
9

Plusieurs vies en une

Edouard Limonov est un personnage atypique, détestable pour certains, passionnant pour d'autres, le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il ne laisse en tout cas personne indifférent. Emmanuel...

le 26 déc. 2012

17 j'aime

1

Du même critique

Into the Wild
Peter_Saras
9

Pire que le coronavirus

J'ai vu ce film à 15 ans et j'ai tout gobé comme un con. Si tu es un ado mal dans tes pompes, ne regarde pas ce film, ça pourrait mal finir. Tu pourrais toi aussi vouloir partir dans la nature...

le 9 août 2015

17 j'aime

4

Ada ou l'Ardeur
Peter_Saras
10

Critique de Ada ou l'Ardeur par Démon S'en-Va-en-Guerre

Nabokov n'est pas seulement l'auteur de Lolita. Ça serait déjà pas mal, bien sûr. Oui mais voilà, ce n'est pas tout. Il y a plus. Il y a mieux. Vous ne pensiez pas que c'était possible ...

le 12 août 2015

16 j'aime

Le premier méchant
Peter_Saras
8

Pathétiques et fiers de l'être

Miranda July a du talent (beaucoup de talent, ça s'appelle du génie?) et en plus elle a l'air de savoir quoi en faire. Elle écrit pour de vrai. Elle écrit des vrais livres. Flammarion a raison de lui...

le 9 févr. 2016

7 j'aime