Debout, les damnés de la Terre !
Je ne m'attarderai pas sur l'importance historique de ce livre, tant elle est évidente.
Ce qui me surprend peut-être le plus, c'est l'incroyable actualité d'un opuscule paru il y a 165 ans maintenant. Mise à part la troisième partie, qui est plus dans l'actualité de son époque, donc qui a vieilli, le reste est toujours absolument exact aujourd'hui. On n'a même pas à changer une virgule pour le relire. C'est la première preuve de l'intelligence phénoménale de ses deux auteurs, pourtant fort jeunes au moment de l'écriture (Marx avait 30 ans et Engels 28 !).
La première partie est la plus extraordinaire. ce n'était pas la première fois que je la lisais, mais à chaque fois c'est une baffe. Les deux auteurs s'y font historiens et sociologues. Il décrivent la montée en puissance de la bourgeoisie jusqu’à sa prise de pouvoir, puis la croissance parallèle du prolétariat. Ils montrent comment la bourgeoisie a transformé le travail, asservissant les ouvriers à leurs machines, rendant les employés interchangeables à volonté. Ils nous parlent de mondialisation, de ces industriels qui vont produire où ils veulent, c'est-à-dire où les coûts de fabrication sont les moins chers (nous sommes en 1848, je le rappelle). Ils racontent les différentes crises qui traversent l'expansion de la bourgeoisie (crises nées des défaillances de ce système économico-politique) et comment la bourgeoisie ne les résout pas mais en repousse plus loin les conséquences. Etc.
Cette partie est la plus stupéfiante par la vérité de cette description, où la brièveté n'empêche pas l'exactitude. Au contraire, cette brièveté renforce l'urgence de la lutte qui va être présenté.
La deuxième partie est une présentation du programme du Parti Communiste et surtout une réponse aux diverses accusations calomnieuses proférées contre celui-ci. Non, le PC ne veut pas abolir la propriété privée : "Le communisme ne retire pas à quiconque le pouvoir de s'approprier des produits sociaux, il ne retire que le pouvoir de s'assujettir, par cette appropriation, le travail d'autrui."
De même, le communisme ne cherche pas à détruire les prétendues libertés données par la bourgeoisie, et dont elle est la seule à profiter.
Lire cette deuxième partie est d'autant plus importante que, trop souvent, on confond le marxisme et le système soviétique en vigueur pendant une bonne partie du XXème siècle. Lire Marx (et Engels) permet de comprendre que Staline n'avait rien de marxiste.
La troisième partie est une attaque contre les différents socialismes qui existaient à l'époque. C'est ce qui paraît le moins intéressant de nos jours, et pourtant cette partie permet de mieux définir les contours du communisme de Marx et Engels, en éliminant tout ce qu'il n'est pas ! Renvoyant dos à dos les socialistes non révolutionnaires (qui voudraient revenir à un ancien mode de production, forcément dépassé socialement) et les utopies délirantes, les auteurs dressent le portrait d'un Parti Communiste révolutionnaire et pratique, prêt à l'action et qui ne s'enferme pas dans des théories stériles (tout l'opposé, une fois de plus, du PCUS sclérosé et momifié).
En bref, un livre essentiel, que je me permets de recommander à tous ceux qui ont deux heures devant eux (il n'en faut pas plus). Un livre militant mais lucide. Un livre percutant et abordable à tous.