Une écriture remarquable, au service d’un parcours hors norme

Récit autobiographique lucide et sincère, Mauvais élève revient sur les origines populaires de l’auteur, son échec scolaire initial et le dur apprentissage qui devait, contre toute attente, le mener d’une orientation technique à une formation universitaire, d’un désintérêt pour les livres à une passion pour la littérature et, passant par une histoire d’amour avec Annie Ernaux, lui dans la vingtaine, elle avec trente ans d’avance et déjà très connue, lui ouvrir à son tour une grande carrière dans les lettres.


La narration commence avec l’enfance en Normandie, entre l’alcoolisme d’un père employé de bureau et l’usure d’une mère dactylofacturière, un parcours de « cancre irréductible, paresseux, collectionneur de notes indécentes, d’absences et d’avertissements » qui « ne voulai[t] rien apprendre et ne savai[t] pas quoi faire de [s]a jeunesse », au point de verser dans la petite délinquance. Puis vient le déclic : la découverte des livres, l’écriture comme échappatoire et la volonté farouche de s’en sortir. Avec un BEP en poche, il décroche un bac pro, puis entame des études de lettres modernes, porté par l’ambition de vivre de sa plume.


Mais son ascension aurait-elle été possible sans cette liaison improbable avec Annie Ernaux ? Cinq années d’une relation intense, faite d’admiration chez lui, de domination chez elle, qui deviendra son Pygmalion. Cette partie du récit, que certains lisent comme une réponse aux deux livres qu’elle a consacrés à leur histoire, offre son propre versant, sans acrimonie ni esprit de revanche. L’auteur y fait preuve d’une remarquable distance, d’un calme qui n’efface ni les blessures ni la reconnaissance.


Loin d’un règlement de comptes, le texte rend hommage autant qu’il explore les failles, sans colère ni amertume, dans une introspection lucide et assumée. Tous deux ont connu une ascension sociale vertigineuse, mais chacun en garde un ressenti différent : chez elle, la honte du transfuge de classe ; chez lui, une forme d’apaisement. Se disant « nomade social », il revendique une fidélité à son moi profond, une tendresse intacte pour les siens, et une lucidité sur les désillusions que peut aussi offrir son nouveau milieu.


D’une grande délicatesse, riche en réflexions nuancées, ce récit personnel doublé d’une lecture sociologique impressionne par la passion et la ténacité qui ont fait de la littérature une véritable planche de salut. Une écriture remarquable, au service d’un parcours hors norme.


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