Le furor, ou l'antithèse d'Euripide
Concept développé par Sénèque dans Médée, appelé "fureur tragique" en français. Le Médée de Sénèque, en effet, transforme la magicienne en une furie, qui dès le début est assoiffée de sang, et a perdu toute la douleur, tout le désespoir de la Médée d'Euripide. Ici, pas donc d'analyse du sentiment humain, des extrémités auxquelles peut porter l'excès de souffrance. Non, ici, Médée n'est plus humaine dès le début. Médée est un monstre.
Mais attention, un monstre lyrique : Médée passe son temps à invoquer les dieux, les héros, ses parents eux-mêmes dieux... Au profit de l'intrigue, qui finalement est reléguée en arrière-plan pour mieux laisser les personnages partir dans des discours sans aucun lien apparent avec la situation concrète : Médée délaissée par Jason pour épouser la belle-fille (la fille chez Euripide) de Créon, Créüse (non nommée chez Euripide). Il en va de même pour Jason : si, chez Euripide, on a le droit à de belles démonstrations rhétoriques argumentant sur le thème de "non je ne suis pas coupable c'est toi qui l'es nananananère", on tombe dans l'extrême inverse chez Sénèque, et on n'a aucune explication du pourquoi du comment. Ce qui rend évidemment la pièce presque illisible.
Seule la nourrice semble fidèle à son rôle de "devin", d'annonciateur, et n'est pas insupportable. Parce que même le choeur est touché par cette propension à partir dans des délires mythico-lyriques, en brodant sur la théogonie etc.
Qu'on ne me reproche pas de juger l'oeuvre seulement en comparaison avec celle d'Euripide ; je n'ai pas adoré cette dernière, et j'aime encore moins celle dont on parle. Il y a de sensibles différences, assez intéressantes, dans la tragédie de Sénèque : les motifs de l'infanticide semblent (je dis semblent parce qu'ici encore on n'a pas vraiment d'éclaircissements sur des motifs autres que "VENGEAAAAAANCE", il y a donc davantage de crédibilité chez Euripide) relativement distincts, Jason se présente comme contraint d'épouser Créüse (mais pourquoi, c'est un mystère)... Et si on aime les envolées lyriques, on est servi.
Pour ma part j'ai trouvé le tout confus, l'intrigue oubliée, les arguments peu convaincants, les sentiments peu crédibles... (et comme disait Aristote, la tragédie est meilleure si elle présente des faits impossibles comme vraisemblables, ce que ne rend pas vraiment Sénèque ici). Et des tartines et des tartines d'art oratoire peu concluant. Vraiment, ça donne envie de refermer le bouquin.
Je mets 4 points tout de même parce que tout n'est pas à mettre à la poubelle, même si c'est indigeste. Le furor est à son apogée, Médée est l'incarnation de la folie doublée de la rage la plus violente. Médée au désespoir ou Médée enragée ? A vous de choisir, moi j'opte pour la première, plus séduisante, parlante pour le lecteur, complexe, donc plus intéressante.