Médée Kali
6.8
Médée Kali

livre de Laurent Gaudé (2003)

D'une beauté bouleversante, ce monologue de Laurent Gaudé emprunte autant à la mythologie antique (Médée) qu'à la culture indienne (Kali) pour accoucher d'une version unique du mythe de Médée. En choisissant les mots justes, Il traduit avec sincérité les sentiments contradictoires de la protagoniste, aux prises avec son passé. La haine, la vengeance, la reconnaissance, le désir, la jouissance, l'amour décliné sous les formes passionnelle, platonique et maternelle. Pour donner à son texte un contour de tragédie moderne.


En l'espace de quelques pages, on y voit le récit d'une vie à travers une évolution nette du personnage qui révèle tout le talent de l'écrivain. De l'enfant Médée Kali élevée par des Brahmanes, elle devient Médée, femme de Jason et mère de deux enfants. Mais par le bûcher purgatif qui réduit sa progéniture en cendres, elle efface sa relation amoureuse et devient Kali, femme indépendante jouissant du plaisir sexuel. De Kali, elle deviendra finalement la terrifiante Méduse à la chevelure sifflante et au regard maudit qui va se confronter à l'homme dans une compétition de séduction.


La construction du monologue de Médée Kali est des plus paradoxales. Si Médée prend la parole, c'est parce qu'elle sent qu'elle a enfin pris le recul nécessaire pour effacer Jason de sa mémoire, pour se libérer de son emprise. Il faut rendre ses enfants au Gange et sentir le regard d'un nouvel homme lui brûler la peau pour enfin sauter le pas. "Je te laisse, à jamais Jason, effacé, derrière moi." Et pourtant, cette reconstruction d'une femme trahie par l'homme qu'elle aimait va se solder par sa propre destruction. Nourrie par la vengeance, elle sera détruite par le désir.


Bien que monologue, le rôle du silence, métaphorisé par Persée, est prépondérant. Là où la parole est habituellement performative, elle est ici battue par le mutisme. Une leçon qui laisse sans voix. Et si Médée Kali est une confidence de femme, elle dépeint un culte de la beauté féminine mortel en parfaite résonance avec le culte de l'image qui sclérose notre société. Personnage désiré mais personnage souillé. Nullement féministe, elle dessine une image genrée dans laquelle, loin de la restreindre à une figure passive, la femme se voit réduite à un corps divin surpassé par la puissance masculine.

Clara_Guichon
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le 11 août 2015

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