Il aura traîné un an dans ma bibliothèque, ce petit ouvrage, avant que je l'ouvre. Pour ne le refermer qu'une fois terminé.
Le livre commence par une introduction, qui ne dit pas son nom. Madame Taubira, avec le verbe qu'on lui connaît, nous donne un état des lieux, de notre France, de notre Monde, frappés par le terrorisme. L'état Islamique, qu'elle hésite à nommer, y est décrit avec lucidité. Se refusant aux formules faciles et au mépris rassurant, elle reconnaît les forces de l'organisation, la qualifie d'« intelligence méphistophélique » (oui, j'ai dû chercher ce mot dans le dictionnaire). Car intelligence il y a et elle saura la décrire, sans complaisance, sans alarmisme, mais avec lucidité.
Refus de la facilité encore, lorsqu'elle parle de ceux qui servent Daech. Elle rejette avec fermeté les archétypes sociologiques, les profils faciles, sur les jeunes qui se laissent séduire par l'idéologie mortifère.
Enfin, elle nous exhorte, nous tous, mais surtout la jeunesse, à convoquer la raison.


« Oui, au pays de Simone Weil, refusons de voguer à la surface des choses, il faut fendre les flots et s'aventurer dans les eaux tumultueuses jusqu'au cœur du tourbillon, il faut percer, mesurer, atteindre l’œil du cyclone pour en connaître l'intensité, il faut prospecter les contradictions, les faire rendre gorge, débusquer les vides qui servent de grottes à ces déviances sanguinaires »


Ah ! Madame Taubira, si seulement les nouveaux élus, aux discours si superficiels, pouvaient vous lire !


Cette petite introduction, une quinzaine de pages, est à mon avis la partie la plus réussie du livre. Madame Taubira y livre, par son écriture magnifique, sa philosophie politique et poétique.


Elle consacre la suite de son ouvrage aux solutions envisagées en réponse au terrorisme. On entre dans quelque chose de plus concret. Une partie que j'ai moins appréciée, peut-être parce que le sujet a déjà été largement traité. On apprécie toujours l'écriture de l'ancienne Garde des Sceaux qui au sujet des terroristes et de la déchéance de nationalité écrit :


« Ils ne meurent ni Français ni binationaux, ils meurent en morceaux »


La déchéance de nationalité, elle s'y oppose longuement. Pour se faire, elle convoque l'histoire, en rappelant que « les seules déchéances de nationalité ayant frappé des Français de naissance ont été prononcées par le pouvoir d'État du maréchal Pétain […]. » Elle fait appel à la Constitution, résidence des symboles, qui « ne peuvent conserver leur vocation unificatrice et mobilisatrice s'ils tracent une délimitation, une différenciation, avec des germes de démembrements ». Sans verser dans l'angélisme, qu'on lui a pourtant souvent reproché, Madame Taubira rappelle également que la République doit protéger ses citoyens, et les citoyens doivent veiller sur la République.


Avec force de références musicales variées, allant de Nina Simone à Jacques Brel, de Billie Holiday à Bob Marley, Christiane Taubira se réjouit de cette France résiliente au lendemain des attentats de janvier puis de novembre. De ce peuple qui prend d'assaut les librairies pour se procurer d'abord le Traité sur la Tolérance de Voltaire puis Paris est une fête d'Hemingway. Où nous mène-t-elle ? Vers cette idée magnifique que pour combattre la laideur du terrorisme, il convient de célébrer la beauté.


« Et avant qu'il [le monde] ne se défasse, imaginer le partage de la beauté. Un droit fort négligé, pourtant vital. Ce pays offre de la beauté à profusion ».


Et si vous ne la croyez pas, Madame Taubira nous loue cette beauté, de nos paysages, de notre architecture, de notre littérature.


«  Appartenir à un peuple qui riposte aux cataclysmes haineux par des billets, des fleurs, des bougies, des livres, et organise sa résilience avec des méthodes aussi avisées qu'inédites, oblige. Oblige à reconnaître sa force, à se savoir partir d'une tout de grande vitalité, insolite et coriace »


Oui dans cette partie, si l'ancienne Ministre de la Justice ne nous offre pas de solutions simplistes pour vaincre la peur, elle nous rappelle nos forces. Elle nous ramène à cette fierté que nous devons ressentir envers notre Nation. Une Nation qui peut débattre d'une idée lamentable, la déchéance de nationalité, mais qui reste empreinte d'une beauté intrinsèque, cette beauté profuse qu'elle nous invite à célébrer.


Je ne résiste pas à citer une dernière fois l'ouvrage, cette fois, à propos des victimes des attentats du 13 novembre :


« Nous conserverons dans nos yeux les visages de nos Joyeux tombés au champ de fête, et leur nom à l'oreille »


L'ouvrage se termine sur une postface intitulée « que s'est-il passé ». Madame Taubira y raconte la réaction du gouvernement à la suite des événements du 13 novembre. Elle y loue chacun des acteurs. N'émet aucune critique. Elle nous révèle simplement, de manière très factuelle, ses quelques jours, à elle, au cœur de cette tourmente. Elle ne s'y glorifie pas, ne se flagelle pas. Elle nous raconte, simplement.


Une heure et demie après l'avoir débuté, je referme ce petit livre. Pourquoi avoir mis autant de temps à le lire ? Le verbe de Madame Taubira m'effrayait. On se sent idiot quand on ne comprend rien à un bouquin. Et pourtant, rien de tel ne s'est produit. Si la langue française y est admirablement bien maniée, ce livre reste tout à fait accessible. La lecture en est très agréable. On se laisse porter par les mots de l'ancienne Garde des Sceaux. La dimension philosophique du livre est délicieuse. En revanche, j'ai trouvé moins intéressant le volet plus politique.

Felin-Sceptique
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le 22 juin 2018

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