Dans sa célèbre note sur la suppression générale des partis politiques, rédigée en 1940, Simon Weil (à ne pas confondre avec la ministre Simone Veil) met en lumière les maux causés par l’existence des partis dans la vie politique.


Il faut lire attentivement ce manifeste d’une dizaine de pages pour bien comprendre ce que Weil veut dire. Contrairement à ce que défendra Bernard Manin plus tard, notre Simone ne critique pas les partis et les élections en ce qu’ils trahiraient l’esprit de la démocratie. Au contraire, pour elle, « la démocratie, le pouvoir du plus grand nombre, ne sont pas des biens. Ce sont des moyens en vue du bien ». On touche là du doigt une grande caractéristique de la pensée weilienne : grande lectrice et commentatrice de l’œuvre de Platon, et surtout grande chrétienne, elle fait du « Bien » en soi le vecteur cardinal de sa vision politique (ce qui est encore plus explicite dans son livre « L’Enracinement »).


Et cette vision néoplatonicienne et chrétienne me dérange parce qu’elle s’étend partout, condamnant la pensée de l’autrice à un idéalisme hors-sol reposant sur des valeurs morales abstraites, et jamais sur l’histoire, les chiffres, la science, enfin la matière quoi. Ainsi son texte déborde de vocabulaire très connoté : « La Vérité est une » ; « Le Bien seul est une fin » ; « Un homme qui n’a pas pris la résolution de fidélité exclusive à la lumière intérieure installe le mensonge au centre même de l’âme » ; « l’existence des partis est absolument, inconditionnellement un mal »…


Autant Manin m’avait convaincu avec son étude très sérieuse et fondée scientifiquement, autant Weil ne me persuadera jamais à coup de catéchisme politique et de « sois gentil, pas méchant, c’est pas gentil d’être méchant, c’est mieux d’être gentil » (10€ pour le premier qui a la réf).

J’ai aussi été assez déçu que Weil propose une suppression générale des partis, sans proposer d’alternative crédible. Elle imagine un système d’alliances temporaires et circonstancielles entre députés indépendants, mais comment imaginer qu’un tel fonctionnement ne réanimerait pas mécaniquement les anciens partis ?


Dans l’ensemble ça reste un bon exposé, bien écrit, clair, avec quelques saillis intéressantes, notamment sur le penchant nécessairement totalitaire de tous partis ou l’impossibilité inhérente à la profession politique d’atteindre une quelconque vérité.


Amarogg
6
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Top Livres 2025 et Livres PDF

Créée

le 1 juil. 2025

Critique lue 8 fois

Amarogg

Écrit par

Critique lue 8 fois

D'autres avis sur Note sur la suppression générale des partis politiques

Du même critique

L'Archipel du Goulag, tome 1
Amarogg
9

Œuvre unique

Lorsqu’on tient entre les mains un exemplaire de L’Archipel du Goulag, il est essentiel de se rappeler sa valeur. Ecrit dans la clandestinité, au péril des jours de l’auteur, le contexte d’écriture...

le 26 janv. 2021

6 j'aime

1

L'Archipel du Goulag
Amarogg
9

Livre unique, par essence inclassable

Lorsqu’on tient entre les mains un exemplaire de L’Archipel du Goulag, il est essentiel de se rappeler sa valeur. Ecrit dans la clandestinité, au péril des jours de l’auteur, le contexte d’écriture...

le 26 janv. 2021

6 j'aime

Qu'est-ce qu'une nation ?
Amarogg
7

Bon ouvrage, contextualisation importante

Le premier élément qui saute aux yeux lorsqu’on lit la courte conférence « Qu’est-ce qu’une nation ? » d’Ernest Renan, c’est sa clarté didactique et son efficacité rhétorique. Une écriture puissante...

le 21 déc. 2020

5 j'aime