Matt Donaghy, seize ans, est un élève de première doué et populaire du lycée de Rocky River dans le comté de Westchester au Nord de New York. Grand, plutôt beau gosse, membre du comité de rédaction du journal de l’école, il parle haut et fort et aime plaisanter et raconter n’importe quoi avec sa bande de copains : pour faire rire.
Visage jovial qui s’effondre en un instant lorsqu’un jour de janvier 2001, deux agents de police en civil pénètrent dans le lycée et l’emmènent sous les yeux effarés de ses camarades après être venus le chercher jusque dans sa classe. On l’a entendu au réfectoire à l’heure du déjeuner : il aurait menacé de faire sauter le lycée et de massacrer un maximum de gens. Après les tueries qui ont eu lieu sur divers campus américains, on ne badine plus avec ce genre de déclaration. Matt a beau affirmer qu’il ne s’agissait que d’une plaisanterie idiote que le moindre écervelé aurait été à même de comprendre, rien y fait. Il est placé en garde à vue et subit un interrogatoire serré. Chaque parent bien intentionné et soucieux de sa progéniture enjoigne aussitôt leurs enfants à rester en dehors de « tout ça » : ne pas se mêler de ce qui ne les regarde pas pour ne pas risquer d’être également considérer comme un terroriste potentiel. Etiquette collée rapidement dans une société qui a peur de son ombre.
Enquête de police, pression médiatique…
Ursula Riggs est elle aussi une lycéenne en première. Elle ne connaît Matt que de nom. Très grande et musclée, elle est la capitaine et le fer de lance de l’équipe féminine de basket de l’établissement. Un tempérament de feu sur le terrain, elle se montre dure avec elle-même et avec les autres membres de l’équipe. Respectée mais peu appréciée. Elle est mal dans sa peau, souvent seule et en secret se surnomme « la Nulle ». Marginale, elle n’écoute pas la rumeur. Elle a entendu Matt faire sa déclaration tonitruante et sait parfaitement qu’elle n’avait rien de sérieux. Contre l’avis de tous, elle intervient, parle au proviseur qu’elle accuse d’avoir eu une réaction excessive à la dénonciation d’un fait qu’il devait vérifier avant d’alerter les autorités. La carrure d’Ursula en impose, même aux adultes. Mais lorsqu’elle somme le chef de l’établissement d’intervenir afin d’arrêter cette folie aussi disproportionnée que ridicule, elle n’en mène pas large.
Mais son témoignage se révèle décisif. Matt est finalement relâché et lavé de tout soupçon. Tout ne redevient pas comme avant pour autant. L’épisode a laissé des traces et la calomnie aura des répercussions tangibles dans la vie de la communauté et plus particulièrement dans celle de l’adolescent et de sa famille. L’élève brillant a perdu de sa superbe. La garde à vue l’a marqué en profondeur. Il n’a plus du tout envie de plaisanter. Sa bonne humeur s’est envolée, ses résultats scolaires sont en chute libre. Lui qui fut toujours entouré se retrouve seul du jour au lendemain. Ses amis ne savent comment se comporter à son égard. On est gêné de n’avoir pas tout de suite témoigné en sa faveur, de ne pas l’avoir immédiatement cru, d’avoir douté, de l’avoir un temps écarter. On se justifie en prétendant qu’on n’a fait qu’obéir à ses parents, et on est sûr que Matt comprendra, n’est-ce pas ? Puis la situation empire dramatiquement lorsque les parents du garçon décident de poursuivre l’établissement scolaire en justice. Il devient un traitre, un paria. Honni de tous. Sauf d’Ursula, de laquelle il se rapproche alors. Une amitié nait entre eux. Une amitié qui évolue peu à peu pour ressembler chaque jour un peu plus à de l’amour.
Joyce Carol Oates signe avec ce livre un roman dit « pour adolescent ». Car il met en scène deux ados et développe des thèmes qui préoccupent ces derniers : l’injustice, la rumeur, les relations adultes-adolescents, le conflit parents-enfants, l’amitié, l’amour. Mais la qualité du texte n’en reste pas moins réelle (et pourquoi en serait-il autrement ?). Joyce Carol Oates, égale à elle-même, brosse des personnages complexes, fouillés, très travaillés et toujours justes. Sa critique de la société américaine occupe une nouvelle fois le devant de la scène : hypocrisie, mesquinerie, intolérance et autre forme de bassesse. Toujours prompte à dégainer et à jeter la première pierre. L’auteur nous invite à garder un esprit critique, à ne pas nous fier aux apparences parfois trompeuses mais à voir au-delà, à avoir confiance en notre propre jugement, à ne pas laisser la rumeur nous dicter nos convictions et à avoir le courage de défendre nos idées.
Un régal.
BibliOrnitho
8
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le 22 août 2012

Modifiée

le 22 août 2012

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