De lourds et ténébreux nuages s'écartent lascivement, dévoilant une lune blafarde à la lumière spectrale. Sur la plaine dénudée apparaissent alors des silhouettes grotesques qui se tordent en une gigue lubrique qui célèbre les horreurs cosmiques, menaces de folie et de destruction pour nos pauvres complexions psychiques.


Vous l'aurez compris, après notre première exploration de l'intégrale Lovecraft ( https://www.senscritique.com/livre/OEuvres_de_H_P_Lovecraft_tome_1/critique/7234570 ), l'heure est venue de plonger dans les mystères impies du deuxième tome ! Nous essayerons de tout décortiquer, programme ambitieux qu'il me sera plus agréable de mener par étapes, au fur et à mesure de ma lecture. Une manière également de ne pas vous assommer d'informations d'une seule traite ! Voici donc le programme, certes chargé, qui nous attend...


Nous commencerons avec les contes et nouvelles horrifiques, qui ne font partie ni du Mythe de Cthullhu ni du Cycle du Rêve, même si quelques carrefours nous attendent forcément sur le chemin. Suivront les écrits moins connus de Lovecraft lorsqu'il officiait en tant que correcteur, voire en tant que nègre littéraire pour d'autres auteurs, débutants ou moins talentueux. Nous nous intéresserons ensuite au cycle poétique méconnu "Fungi de Yuggoth" avant de découvrir la quatrième et dernière partie regroupant un essai de Lovecraft et de multiples documents biographiques.



1) Contes et nouvelles




La Tombe (1917)



Une nouvelle basée sur l'obsession morbide d'un personnage à la recherche de ses origines. Bien que la thématique soit relativement lugubre, le strict déroulé du récit est assez pauvre en péripéties. La brièveté de l'ensemble nous permet néanmoins d'échapper à un quelconque problème de rythme.



Souvenir (1919)



Un conte qui tient en une page. Presque un poème en prose pour célébrer la vanité de la civilisation. La thématique est très proche de ce que faisait Robert Howard, le père de Conan le Cimmérien.



Par-delà le mur du sommeil (1919)



Une histoire intéressante qui met un pied dans le monde onirique de Lovecraft. De très belles descriptions nous font découvrir le côté lumineux, mais toujours quelque peu inquiétant, de l'écrivain. La conclusion est assez remarquable.



La Transition de Juan Romero (1919)



Une nouvelle qui ne m'a pas convaincu. J'aime beaucoup le décor Far West de l'intrigue, que je n'attendais pas chez Lovecraft. Malheureusement, ce dernier n'en fait pas grand chose et les descriptions sont si pingres que l'horreur ne décolle à aucun moment.



Le Terrible Vieillard (1920)



Encore une histoire peu mémorable. Si la thématique du cambriolage promettait beaucoup, Lovecraft reste trop nébuleux. Le fameux vieillard, qui devrait être terrifiant, en devient presque grotesque.



Le Temple (1920)



Premier (très) gros morceau de ce volume pour moi. L'intrigue du Temple se déroule entièrement dans un sous-marin allemand durant la Première Guerre mondiale. De ce contexte original dans sa bibliographie, Lovecraft parvient à tirer un thriller claustrophobique et profondément malsain. On pourrait croire qu'il serait difficile de faire naitre l'horreur parmi un équipage militaire, mais il n'en est rien. Par le biais de descriptions indirectes (tel marin raconte ceci, tel autre jure avoir vu cela...), on finit par se sentir menacé par une entité aussi indistincte qu'omniprésente.


Le protagoniste principal, très caractérisé, ajoute à l'originalité de la nouvelle et à l'indéniable fascination, quasi cinématographique, qu'elle exerce sur le lecteur.



Faits concernant feu Arthur Jermyn (1920)



Il est ici question de la fameuse malédiction familiale qui se répand de façon atavique, pour ne pas dire génétique, de père en fils. Cette thématique, apparemment très appréciée par Lovecraft, ne trouve certes pas sa meilleure illustration dans cette nouvelle, même si le tout se suit sans déplaisir. Il faut dire que l'espèce d'obsession évolutionniste partagée par plusieurs auteurs au début du vingtième siècle (surtout par Robert Howard) n'est plus apte à faire frissonner qui que ce soit aujourd'hui... Si l'Homme de Néandertal représente votre pire cauchemar, par contre, préparez-vous à plonger dans l'horreur la plus absolue.



De l'au-delà (1920)



Une nouvelle très réussie même si elle eût sans doute mérité d'être davantage approfondie. Elle repose essentiellement sur le suspense et la curiosité de découvrir un monde parallèle au nôtre. Les descriptions sont délicieusement angoissantes et il y a même un petit retournement de situation vers la fin pour tenir le lecteur en haleine !



L'image dans la maison déserte (1920)



Une surprenante incursion dans une horreur plus directe, disons plus terre-à-terre, qu'à l'accoutumée. C'est une déchéance bien humaine qui instille ici le malaise, provoquée en grande partie par l'obsession ressentie pour une image. Le face à face proposé, sans rien montrer de spectaculaire, est assez réussi. La fin, par contre, bâclée en trois lignes, est indigne de Lovecraft.



La Rue (1920)



Encore une histoire inhabituelle, presque expérimentale. On ne peut pas vraiment parler d'horreur, ou alors une sorte d'horreur particulièrement prosaïque, celle de la déchéance encore, non plus d'un seul homme, mais des États-Unis. Oui, rien que ça. C'est raconté avec une étonnante délicatesse, voire un profond sentiment de nostalgie. Si les événements semblent au premier abord réalistes, la conclusion fait intervenir une composante fantastique presque naïve mais qui colle bien au ton général.



Ex Oblivione (1920 ou 1921)



Nouveau coup de cœur ! En quelques pages, Lovecraft propose une insidieuse métaphore... du suicide. On trouvera forcément du dégoût pour le monde dans ces pages, mais aussi et surtout un étrange et lancinant apaisement, un état de grâce et de beauté dans l'acte même d'abandon. Assez troublant, quand on est sensible au sujet.



La Tourbière hantée (1921)



Pas grand chose à dire à son sujet. L'aventure n'est guère palpitante, hésitant entre l'horreur et le rêve et ne parvenant à ne caresser ni l'une ni l'autre. Il est question d'une malédiction antique et on convoque plaisamment la mythologie grecque, ce qui est propre à éveiller mon intérêt. Mais cela reste superficiel et peu enthousiasmant. Lecture sans heurts mais bien vite oubliée.



Je suis d'ailleurs (1921)



Voici la toute première histoire que je lus de Lovecraft, il y a déjà quelques années. Je me souviens être tombé sous le charme vénéneux de l'auteur au moment de lire la conclusion, stylistiquement virtuose, capable de frapper éternellement mon imagination constamment à la frontière du délire et de la fièvre. Et pourtant, je n'avais pas compris la signification profonde de cette œuvre qui m’apparait aujourd'hui encore plus morbide et obsédante que lors de ma première lecture. C'est une plongée dans l'horreur de la solitude ultime, dans le cauchemar qui se poursuit au-delà de la mort. Une pièce maitresse de l'auteur.



La musique d'Erich Zann (1921)



Un conte à l'atmosphère subtile et entêtante, qui mêle art et terreur cosmique en une immonde hyménée. On regrette toutefois que Lovecraft, de toute évidence pas si à l'aise que ça avec la lexicologie musicale (et je le comprends), n'aille pas plus loin dans son exploration impie. Qu'importe, Erich Zann fait bien partie des noms illustres de sa légende littéraire.



Herbert West, Réanimateur (1921-1922)



Un autre nom illustre, peut-être le plus connu de tous ! Il s'agit d'une longue nouvelle publiée en 6 épisodes dans la revue Home Brew. Parution mensuelle oblige, le début de chaque partie contient un résumé, parfois un peu long, des épisodes précédents. Ces résumés ne sont pas présentés de façon indépendante mais font bien partie du corps de la nouvelle, ce qui en rend la lecture globale un tantinet indigeste.


L'histoire d'Herbert West est une réinterprétation plus morbide de la créature de Frankenstein. A certains égard, on peut même discerner les premiers linéaments du mythe du zombie, des décennies avant le film princeps de Georges Romero ! La nouvelle est un brin répétitive mais le final, quelque part entre la pure terreur métaphysique et le gore d'une réjouissante série B, est un moment presque à part de la production lovecraftienne.



Hypnos (1922)



Encore et toujours cette obsédante exploration du domaine onirique, terreau de quelques-unes des plus brillantes créations de Lovecraft. Le monstre, ici, c'est le sommeil, néant faussement placide qui peine à voiler les tourments d'une vérité cosmique insupportable à l'esprit humain. C'est beau, désespéré, ça suinte la solitude à chaque mot, le besoin maladif de trouver son âme-sœur, quitte à l'inventer, la réinventer, la sculpter jusqu'à la folie pour nier le passage du temps, le délabrement, l'abrasement de la beauté à jamais inaccessible.

Amrit
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le 23 janv. 2022

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