Omertà
5.5
Omertà

livre de Clara Lamarca ()

"Deviens ce que tu es. Fais ce que toi seul peut faire."

Sara et Sam ne se connaissent pas mais ressentent une attraction irrésistible qui les poussent à se connecter l'un à l'autre. Pas celle des romans qui nous content les balbutiements idéalisés de nos premières amours, mais une symbiose viscérale entraînée par deux solitudes bien distinctes qui se rencontrent. Sara est seule, de la manière la plus concrète qui soit, et en décalage constant avec ses camarades de classe, inlassablement moquée. Sam, quant à lui, se retrouve désespérément esseulé, dans une foule qui pourtant ne cesse de vanter ses qualités ; sa solitude à lui est de l'ordre du spirituel, d'une cassure qui s'accentue avec le temps et qu'il comble en revêtant un masque et une armure. Les deux semblent n'avoir rien en commun, jusqu'à ce qu'ils se découvrent en se révélant à eux-mêmes. Bientôt, ils vivront une histoire d'amour qui bouleversera leur existence et, comme si l'un était le prolongement de l'autre, trouveront le courage nécessaire pour affronter les affres de cette ville qui asphyxie le futur : Anviers. Leur amour, véritable rempart contre la temporalité et la violence de leur environnement, arrivera-t-il à faire disparaître le désespoir qui règne dans cette ville empreinte de chaos, où l'adolescence semble être une prison dont on ne s'évade jamais ?


Tantôt vécu comme un cri du cœur, tantôt comme un cri d'effroi, ce premier roman de Clara Lamarca ne tombe dans aucune facilité et se complexifie au fil des pages, car les personnages évoluent sans cesse au gré des péripéties qu'ils abordent. Dans un style simple (sans tomber dans le simpliste) et percutant, le lecteur suit le parcours de ces deux jeunes gens à la troisième personne pour Sara et à la première personne pour Sam. Cette différence de traitement influe beaucoup sur la lecture car Sam apparaît comme le personnage qui heurte le monde de Sara, et qui l'extirpe de la réalité pour lui en proposer une autre. La familiarité de son langage et ses pensées éparses permettent au lecteur, d'une part de s'y identifier, d'autre part de mieux appréhender son amour pour sa dulcinée et l'écart conséquent qui s'instaure entre les gens qu'il côtoie quotidiennement et qui il est vraiment. Fardée de références à la pop culture mais aussi pointues, Omertà apparaît comme une histoire intemporelle mais très ancrée dans le réel, où le poids du présent et des impératifs rejoignent des sujets beaucoup plus existentiels et universels. La philosophie, dont est épris Sam, se mélange à une vision terre à terre quasi-fataliste et permet l'éveil de l'émouvante Sara, comme un ciel qui toujours se dégage pour voir l'horizon.


La force de frappe du roman de Clara Lamarca se trouve être une sensibilité déroutante, qui prend de l'épaisseur au fil du récit et lui fait prendre une dimension qui sort totalement le lecteur et les personnages de leur carcan. Loin d'être un frein à la portée émotionnelle du récit, le style épuré, parfois violent employé rappelle Salinger, Sagan et Despentes à la fois, et permettent une ampleur à la toute fin, qui eut été insoupçonnable sans la proximité très forte que l'on ressent avec les personnages. Contrairement à Pille, Clara Lamarca ne cesse d'entretenir une identification constante pour le duo qui nous permet de plonger le cœur en avant vers l'inexorable.


Plus que le harcèlement scolaire ou l'amour qui transcende nos vies, Omertà parle de l'Autre dans son ensemble et à quel point il est important pour chacun d'entre nous de se reposer sur plus fort que soi pour avancer, sans avoir honte d'être ce que l'on est et sans prendre en considération les hurlements de la meute. Il est aussi un formidable rappel pour quiconque serait tenté de croire que le présent nous entrave et qu'il n'existe rien d'autre. A travers cette ville d'Anviers, ce lycée, ces personnages et leurs déboires, l'auteure nous murmure à l'oreille qu'il n'existe pas de bonne façon de marcher, car aucun de nos pas n'est identique à celui d'un autre. Qu'il existe toujours un avant, un après, et que le pendant quand il est nuisible ne doit être vécu que comme une transition.


Un premier roman que je vous conseille fortement, intime et bouleversant, avec une grande pudeur qui s'en émane lorsque l'auteure aborde la famille et la conception qu'elle en a pour ses personnages. On sent dans la relation entre Sara et sa mère une violente envie de se dire je t'aime, de se comprendre et de toujours s'épauler mais aussi beaucoup de peine à se sentir à l'aise avec l'autre parfois. Comme un train qui passe à toute allure, qu'il faut rejoindre au bon moment sous peine de ne plus pouvoir se dire les choses ou de ne plus trouver le bon moment pour le faire. Une relation fusionnelle, dont la réalité distordue et différente pour chacune les éloignent parfois, mais de ces échanges naissent toujours des sentiments forts et la certitude qu'elles se comprennent et se comprendront toujours.


Un livre qui nous tient par la main et semble nous dire : pense à tout ce que tu as à accomplir, tu as des blessures profondes qui ne disparaîtront jamais, mais un jour elles seront pansées par quelque chose ou quelqu'un, alors continue d'espérer et ne faiblis jamais, jamais, tu es quelqu'un de merveilleux et si cet aspect de toi est encore dans la pénombre, un jour tout va s'éclaircir, et tu seras en vie. Omertà ou la loi du silence, formidable appel à l'espoir. Tiens bon. Tout change. Tu vaux quelque chose, et tu as ta place. Le silence est l'avant-goût du bonheur éclatant. La force qui se dégage du récit se ressent autant dans ce que les personnages vivent que dans l'esprit du lecteur, et l'auteure entretient une relation tellement privilégiée et intense avec eux dans la façon de narrer la vigueur de leur amour qu'elle nous touche démesurément. Un lien se développe entre nous tous.


(Mention spéciale à l'écriture d'Elena qui, même si elle paraît détestable, est en fait le reflet inverse de Sara, qui ne vit et supporte le quotidien qu'en se servant des autres et comble son vide intérieur grâce au regard d'autrui. Plus le roman touche à fin, plus on se rend finalement compte qu'elle n'a pas encore rencontré son Sam, et qu'elle a pris un chemin opposé, le mauvais choix. Si j'ai peu d'empathie pour elle, je trouve le parallèle brillant et très pertinent.)

Créée

le 16 juil. 2017

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EvyNadler

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