Une frappante réflexion sur la liberté d'expression artistique

Lors de la messe de funérailles du célèbre chef d’orchestre Claessens, sa fille, la narratrice, elle-même pianiste de renommée internationale, entame au piano la très difficile pièce pour violon et orchestre de Chostakovitch : Opus 77. Tous ceux qui comptent dans le monde de la musique classique sont réunis, comme pour un dernier spectacle où chacun s’observe, se jauge, guettant l’éloge ou la critique, prêt à basculer en un instant du sourire au coup de griffe. Tous, sauf David Claessens, le fils, violoniste prodige en son temps, devenu fils et musicien prodigues, en raison, d’une part de dévastateurs secrets de famille, d’autre part, de l’intransigeance de son art et de son indifférence aux conventions du Ghota musical.


Pendant qu’elle joue, Ariane Claessens se remémore : son enfance avec son frère David dans cette famille vouée à la musique, l’exigeant apprentissage du piano pour l’une, du violon pour l’autre, leur relation complexe à leur père, la lente destruction de leur mère, chanteuse lyrique peu à peu réduite au silence… Et surtout la griserie et les pièges de la dévorante célébrité, la pression et la peur de faillir, les règles d’un microcosme qui ne tolère aucune déviance à ses normes, une compétition impitoyable et sans fin où le talent ne peut percer et durer qu’avec la reconnaissance de la profession.


Tout le récit s’articule autour de cet Opus 77, composé par un Chostakovitch victime du totalitarisme soviétique, œuvre dramatique et dissonante, véritable cri de rébellion contre la censure et l’oppression : « Jamais peut-être musique n'a davantage symbolisé le combat de la lumière face aux forces obscures. »


Car c’est précisément à ce combat entre ombre et lumière, qu’après y avoir vu leurs parents s’y brûler les ailes, se retrouvent confrontés le frère et la sœur. Ariane réussit à mener sa carrière, en choisissant la conformité et en murant ses états d’âme au plus profond d’elle-même, devenant « le plus complexe, le plus indéchiffrable, le plus parfait automate jamais créé de main d’homme ». David, dont le talent est tout à fait exceptionnel, mais parce qu’il fait fi des us et des avis de ses alter egos, s’exclut, s’isole et s’immole.


A travers cet excellent livre qui sait maintenir l’intérêt du lecteur de bout en bout, résonne toute la question de la liberté individuelle et artistique dans notre société, où les stratégies mercantiles, mais aussi la contrainte croissante du politiquement correct, finissent par lisser et formater la création.


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Cannetille
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le 23 mai 2020

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