Quelques lignes pour créer l'histoire
Comme Orwell et la Catalogne, il suffit aux grands observateurs du début 20ème de n'avoir quelques lignes pour poser un regard et raconter l'Histoire. John Reed est de ceux-la, couvrant les...
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le 6 déc. 2016
Nous rencontrons des problèmes techniques sur la partie musique du site. Nous faisons de notre possible pour corriger le souci au plus vite.
Pancho Villa reprend en réalité le contenu d’un chapitre du Mexique insurgé, reportage plus long publié par John Reed en 1914. Ce n’est pas anodin, car il ressort de cette soixantaine de pages quelque chose d’inabouti, sinon d’inachevé. Il est probable que le peu de recul manifesté dans l’ouvrage contribue également à faire naître cette impression.
C’est un travail de journaliste, à la rigueur un témoignage, mais pas une œuvre d’historien, ni dans son sujet – né après Villa, Reed est mort avant lui –, ni dans sa démarche. D’ailleurs, on n’est pas toujours loin de l’hagiographie.
Or, autant considérer Villa comme la crapule ultime serait une erreur, autant il me semble que le tenir pour une sorte de Robin des bois mexicain assoiffé de justice sociale est également réducteur. Mettons-nous d’accord : si à aucun moment l’auteur ne présente son travail comme un travail de militant, il n’invoque pas non plus la moindre objectivité ; il évacue simplement la question. Mais son admiration apparaît tout du long, en filigrane.
Même lorsqu’il donne la parole à la partie adverse, c’est pour valoriser Villa : « Peut-être, comme le disent ses ennemis, entrevit-il dans le soulèvement une chance de se racheter. Peut-être aussi, comme c’est plus probable, se reconnut-il dans la révolte des péons » (p. 23). Autrement dit, ou bien Villa est un bandit en quête de rédemption, ou bien il est le porte-voix des déclassés – dans tous les cas, quelqu’un de bien (1).
En fait, John Reed fait généralement l’impasse sur la complexité du personnage, sauf lorsqu’il s’agit de faire de cette complexité une qualité morale : « c’est un fait impossible à croire pour ceux qui ne le connaissent pas, que ce personnage remarquable, surgi de l’obscurité pour s’élever en seulement trois ans au premier rang du Mexique, ne convoite nullement la présidence de la République » (p. 57). C’est remarquable, certes, mais à aucun moment l’auteur ne s’interroge sur ce refus du pouvoir : quels en sont les mobiles ? ne peut-on pas l’expliquer autrement que par la personnalité de Villa ? est-il seulement réel ?
J’ai l’impression que Pancho Villa se rattache à (inaugure ? annonce ?) toute une tradition de pensée selon laquelle une victime est nécessairement quelqu’un d’admirable. Que Huerta ait trahi Villa, par exemple, suffirait non seulement à légitimer le combat de ce dernier – combat qui me paraît tout à fait défendable par ailleurs – mais aussi à en justifier les moyens d’action, et à rendre Villa lui-même impeccable en tout point, ce qui est déjà beaucoup plus discutable.
C’est peut-être cet aspect, plus que le portrait en lui-même, qui rend ce Pancho Villa intéressant.
(1) Que ceci puisse correspondre aux figures chrétiennes du pécheur et du seigneur des pauvres est peut-être une de ces ironies que le communisme réserve à ses lecteurs ! On n’a pas toujours les héros qu’on veut.
Créée
le 28 déc. 2020
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