Grégory Le Floch transpose une légende de femme sauvage dans un récit contemporain qui se lit comme une insurrection queer et écologique. La métamorphose y devient acte de résistance, une sortie hors des normes sociales et genrées. Dès les premières pages, le roman s’inscrit dans la lignée des pensées radicales – celles de Paul B. Preciado, cité en exergue – qui revendiquent une transformation irréversible et une insubordination absolue.


Adolescente corpulente et lesbienne, Mont Perdu – prénom de légende et nom de montagne – est victime de harcèlement parce qu’elle détonne dans son village pyrénéen figé dans ses archaïsmes. Dans une mise en scène de la domestication de la sauvagerie, les habitants y rejouent chaque année une fête païenne autour de l’ours, inspirée d’anciens rites où l’animal, incarné par un homme déguisé, est traqué, capturé, puis réintégré dans la communauté. Désignée pour endosser ce rôle humiliant, la jeune fille retourne la contrainte en puissance. Devenant l'ourse, elle transforme le masque en vérité et libère sans retour possible ce que l’on voulait étouffer en elle : la force de son désir et de sa singularité.


Grégory Le Floch fait de ce rituel le moteur d’une métamorphose radicale. En conférant à Mont Perdu une puissance qui déborde les cadres humains, il inscrit son devenir-ourse dans une logique de rupture avec l’ordre social et les récits d’intégration. Au rebours d’un retour à la communauté, c’est une sortie hors du monde des hommes, une affirmation instinctive et souveraine qui fait de l’exclusion le point de départ d’une liberté indomptable et d’une révolte contre toutes les formes de normalisation et d’effacement des différences.


L’écriture, charnelle et minérale, accompagne cette insurrection. Crue, orale, traversée par les pulsations de la nature et les frémissements d’un corps en rupture, elle refuse l’élégance pour mieux dire la rage. Ce contraste entre lyrisme tellurique et oralité brute rend le texte éruptif, déroutant et profondément politique par sa manière de mordre, de refuser les cadres et de forcer le passage.


Pris à rebrousse-poil par ce chant farouche, le lecteur avance à tâtons, ballotté entre fulgurances poétiques et violence. La lecture se fait traversée sensorielle, fragmentée, où la métamorphose surgit comme fracture dans un réel déjà écorné par les voix des montagnes et les bruissements du sol. Fantasmagorie tellurique, fable politique et poème sauvage, Peau d’ourse brouille les frontières entre humain et animal, mythe et réalité.


Grégory Le Floch signe un roman incandescent, insoumis et transgressif, qui déconcerte par son étrangeté irrationnelle mais surtout par la violence avec laquelle la différence s’impose, sans compromis ni demande d’asile. Un livre volcanique, véritable révolte politique et poétique, où la métamorphose devient révolution queer et écologique, une brèche ouverte pour toutes les altérités que l’on tente d’effacer.


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Cannetille
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