La Poésie du gérondif est un "essai" de Minaudier, le type qui a traduit L'Homme qui savait la langue des serpents pour le Tripode. Et ça se sent.


L'auteur se présente comme un énorme nerd quasi-autistique de la grammaire, il en collectionne littéralement des milliers d'ouvrages et il fait un bouquin pour parler de cette passion, ce qui lui donne l'occasion d'alterner entre vulgarisation de procédés linguistiques techniques et anecdotes diverses sur la grande diversité des parlers existant à travers le monde. Moins une langue se construit comme le français, plus ça a tendance à l'intéresser - et il a une obsession marquée pour les isolats.


Très sympa à lire, j'ai passé un vrai bon moment, mais j'ai des objections assez lourdes derrière le propos.


C'est un affreux foutoir, déjà. Dur de percevoir un sens derrière un enfilage d'étapes d'un voyage un peu abscons dans sa composition qui a une organisation vaguement thématique mais pas trop et elle n'est pas marquée, à dessein.


C'est ultra relativiste ensuite. Le seul propos à tirer de la chose, c'est que rien n'est universalisable, et il s'accompagne derrière ça d'un humour qui m'a parfois fait sourire au début avant de profondément me casser les couilles à la fin, surtout quand il commence à forcer un délire de parodie dans les notes de discours coranique pour donner ses références biblio'. C'est le fond du panier de la vanne de petit athée qui se croit malin.


Ca a finalement la gratuité que j'aime pas, qu'on va cacher derrière le parapluie commode de l'étiquette "poétique", quand on se contente d'empiler des données de savoir sans les articuler autour d'une volonté interprétative. Il essaie de ménager ses transitions, et il le fait parfois bien, mais c'est finalement un bouquin qui se consomme comme de la vidéo youtube en balançant de la data dont on ne retient rien, sitôt qu'on l'a lue, chassée par la suivante.


Derrière ça en fait se cache le grand grand défaut méthodique d'une certaine approche structuraliste et plutôt gauchisante de l'art (mais du monde surtout derrière) avec laquelle j'ai pas mal de difficultés personnelles en ce moment, tout en ayant été formé à travers elle et tout en la partageant encore largement.


J'ai du mal avec les philosophies qui vont se construire sur l'idée que le système est impossible à cause de la présence d'exception à la marge. Ce qu'il y a de pénible avec le bouquin de Minaudier, c'est qu'il le sait, qu'il le dit (il admet par exemple qu'organiquement on tend vers certains modèles synthétiques de langues de communication qui phagocytent les autres), mais qu'il balaie l'objection en s'en battant les couilles derrière de simples modalisations type "dans cette perspective, on".


La stérilité (un mot qui revient presque toujours dans mes approches négatives des ouvrages), toujours. Je crois pas que la bonne poésie, même la plus frivole et libérée en apparence, soit stérile typiquement ; je crois qu'elle porte derrière des visions de l'homme et du monde qui sont pleines de sens et de pesanteur.


Au fond, une unique question qui détermine tout le reste : croit-on en la vérité ou non.

Derrière les déclinaisons de cet esprit, l'image de Bouvard et Pécuchet me revient assez constamment.


Ils sont pas méchants pour un sou et ils sont même franchement intéressants, voire sympa. Mais c'est une telle perte de temps.


Tout le bouquin j'ai attendu la ref' à Borges d'ailleurs, qu'il a bien su nous faire attendre jusqu'à la centième et dernière note de bas de page dans un dégueulis verbal assez malaisant.


Cette utilisation de l'Argentin me casse les couilles. Les mecs regardent Borges comme si les labyrinthes n'avaient ni sens ni sortie. C'est fatigant.

S_Gauthier
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le 6 mai 2023

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S_Gauthier

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