Lorsque j'ai eu connaissance de son nouvel ouvrage, Premier bilan après l'apocalypse, je n'ai pu qu'être conquis. Libraire, anti-numérique avéré et adepte des listes et classements en tout genre (on a tous quelques préoccupations futiles), voilà une semaine que je dévore les 430 pages de critiques de ses cent livres préférés. À l'heure du livre numérique, le trublion de la littérature française s'est mis en tête d'écrire la critique des cent livres du vingtième siècle à sauver et à lire avant la disparition du livre papier.

Premier bilan après l'apocalypse est une dissertation dont le sujet pourrait être : « À l'ère du numérique, le livre papier est-il toujours un objet contemporain ou son usage devient-il dérisoire et inutile ? ». Ici la thèse se suffit à elle-même, Beigbeder n'a pas pris la peine de nous livre antithèse ni synthèse. Ces cent romans suffisent à défendre la survie du livre papier. Nul besoin de démontrer que le numérique est nuisible, inutile et anti-littéraire. L'importance des cent livres choisis suffit à rendre une copie parfaite. En introduction, Beigbeder nous livre ses pensées dans une prose sensible mais virulente :

« Les livres sont des tigres de papier, aux dents de carton, des fauves fatigués, sur le point de se laisser dévorer. Pourquoi s'abstenir à lire sur un objet pareil ? Des feuilles fragiles, inflammables, reliées, imprimées, sans batterie électronique? Tu es obsolète, ô vieux livre bientôt jauni, nid à poussière, cauchemar des déménageurs, ralentisseur de temps, usine à silence. »
« Il faut se souvenir de l'acte admirable qui consistait à fureter dans les librairies, à flâner devant les vitrines, à désirer un livre sans l'obtenir tout de suite. Un roman se méritait : tant qu'il n'était pas disponible en ligne, il exigeait de nous des efforts physiques. Il fallait sortir de chez soi pour aller le choisir dans un lieu rempli de rêveurs esseulés, puis faire la queue pour l'acheter, se forcer à sourire à des inconnus atteints de la même maladie, avant de le transporter dans ses mains ou sa poche jusqu'à son domicile, en métro, ou sur la plage. Le roman de papier était ce tour de magie capable de changer un asocial en mondain, puis à nouveau en anachorète, en le contraignant à rester un instant coincé face à lui-même. »

La longue liste nous permet de connaître les goûts de l'auteur (souvent les mêmes, il convient de le remarquer : grand roman d'initiation américains, roman (américain si possible) dénonçant les déboires de la société, ouvrage littéraire érotique ou pornographique et journal d'auteurs gays) et de faire quelques découvertes. Des auteurs inconnus ou méconnus en France (Christian Kraht, Alain Pacadis, Ned Rorem, Mathieu Terence, etc), des livres dont on avait vaguement entendu parler sans s'être demandé de quoi il s'agissait (Les Couleurs de l'infâmie de Cossery, Disgrâce de Coetzee, Tropiques du Cancer de Miller, Le Maître et Marguerite de Boulgakof, en ce qui me concerne), d'autres qu'on ne souhaitait pas forcément lire (American Psycho d'Ellis, Les bienveillantes de Littell, Je m'en vais d'Echenoz, toujours pour ma part), etc.

La force de Frédéric Beigbeder est de ne pas souvent nous laisser le choix. On finit souvent une critique en se disant « Comment diable ai-je fait pour passer à côté de ce livre ?! » et pas « Tiens, c'est bizarre, il a adoré ce livre alors qu'il ne me tente pas du tout ! ». Forcément, je grossis un peu le trait, on n'est pas toujours absolument d'accord avec lui. Mais il essaie d'écrire ses critiques de sorte qu'on ne puisse penser autrement que comme lui, justement.
Sur American Psycho de Bret Easton Ellis : « en 1991, personne ne s'attendait à une déflagration pareille (...) on ne pouvait pas imaginer que Bret Easton Ellis était capable d'accoucher d'un monstre aussi radical (...) American Psycho est le meilleur roman du XXe siècle car il a digéré tous les autres ».
Le problème, c'est que chaque roman semble être son préféré, celui qui a le plus changé sa vie, celui qui l'a le plus influencé, celui qu'il a le plus relu, celui qui, celui qui. Ceux-là, je ne les compte plus.

Même s'il emploie le ton satisfait, cynique et désabusé de ses romans, Premier bilan après l'apocalypse ne leur ressemble pas. Il se lit comme un ensemble de critiques de petits ou grands romans du vingtième siècle et non comme un roman de Beigbeder, ce qui pourrait en déranger plus d'un. Avec humour, poésie et férocité, il dresse la liste des cent livres que nous devons lire avant qu'il n'y en ai plus. En ce qui me concerne, ce sera une trentaine, et c'est déjà pas mal !
Ce n'est pas un ouvrage indispensable mais tout de même bien utile pour découvrir de nouveaux horizons, comme quoi il n'y a pas que les classiques dans la vie ! La préface à elle-seule mérite le détour ! Pour terminer, un petit message d'espoir, ne temps de numérisation et de dépersonnification de la littérature et de la société.

Mario Vargas Llosa, lors de son discours de réception du Prix Nobel de littérature 2010 :
« Nous devons continuer à rêver, à lire et à écrire, car c'est la façon la plus efficace que nous ayons trouvée de soulager notre condition périssable, de triompher de l'usure du temps et de rendre possible l'impossible. »


Critique en intégralité sur mon blog (adresse ci-dessous) avec autres extraits et les dix critères de Beigbeder pour aimer un livre : inédit et à se tordre de rire !
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le 10 août 2011

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