Dans cet essai, Laure Murat propose une introduction à la notion de cancel culture (un peu abandonnée aujourd'hui au profit du fameux « wokisme », encore plus vague et connoté) et balaye les grandes idées liées à ce concept. Mais cette idée de cancel culture, une idée qui fait peur, véhiculée par des journalistes et des politiques situés, qu'en penser vraiment et où est réellement le débat ?
Mais pour commencer et avant d'aller plus en avant dans la réflexion, le livre fait allusion à cette réalité très vieille de ce qui était appelé l'iconoclasme, le vandalisme puis aujourd'hui la cancel culture. Qui annule quoi ? rappelle que c'est vite oublié l'aspect politique qu'a pris cette pratique du vandalisme de certaines statues de personnages pour le moins discutables de nos jours. C'est aussi omettre, comme le rappelle Laure Murat, en parlant du travail de Jacqueline Lalouette, qu'en 1792 l'Assemblée législative, juste avant la Première République, ordonne la destruction des statues des rois parce que ces derniers sont devenus symboles inadéquats aux valeurs progressistes de la Révolution. C'est alors quand même un comble que ce soit principalement des révisionnistes, des points de vue réactionnaires, ou encore conservateurs, qui parlent de cancel culture, d'effacement, de méconnaissance voire d'oubli d'une histoire, un réelle matière, une matière vue comme objective alors même que l'on silencie des pans entiers de l'Histoire, dans l'éducation notamment, aux dépends des minorités sexuelles, minorités de genre, de race, etc.
Car qui annule qui ou quoi ? Du jour où le footballeur Colin Kaepernick s'est agenouillé en 2016 pendant l'hymne américain pour protester contre les violences policières envers les minorités, il n'a plus été admis à jouer dans aucune équipe de la NFL. Et que dire de ces femmes innombrables, violées, harcelées ou qui ont été renvoyées pour avoir refusé une faveur sexuelle à leur employeur ? Annulées, elles aussi, en silence, sans autre pouvoir que de dire, un jour, sur les réseaux sociaux et en guise de dernier recours : Moi aussi.
Quoi qu'il en soit, pour en revenir à cet ordre de détruire les symboles de la royauté et à toute cette histoire du vandalisme, que l'on souscrive ou pas à tout ce que la Révolution a donné, cela montre que seul l'Etat est en possession de censurer et de contrôler vraiment l'espace public (et peut-être, dans notre société néolibérale, les grandes entreprises ?). Bref, tout ça a le mérite de nous rappeler que la pratique n'est pas récente, qu'elle a pris des formes différentes dans l'Histoire, et qu'elle n'est pas non plus dotée du même sens aujourd'hui. En effet, elle n'est plus la simple idée de vandalisme dans l'histoire de cette pratique, déconnectée de toute conscience politique nuancée et réfléchie, très loin finalement de cette méconnaissance de l'histoire qu'on attribue souvent aux « wokistes ».
Ce qu'une statue ne peut jamais faire, c'est rendre intelligibles l'ambiguïté et les contradictions d'un temps donné.
Mais Murat va plus loin que la légitimation du fait de vouloir défaire l'espace public de symboles violents à de nombreuses personnes. Elle propose de déplacer le débat, en remettant en cause l'idée même d'ériger des statues au nom d'une conception très dix-neuvièmiste et vieillissante des « héros » :
Quand l'histoire s'est débarrassée depuis belle lurette de la figure du « héros », qu'elle a envisagé les classes, les groupes, les genres, les paysages, le climat, la culture, les mentalités, l'ego ou la micro-histoire, qu'elle s'est faite internationale, mondiale, globale, n'est-il pas temps de traduire, dans l'espace public, les nouvelles préoccupations historiennes et historiques ? Plutôt que d'en rester au culte du grand homme, à la figuration obligatoire de l'homme blanc triomphant, aborder le XXIe siècle avec davantage d'imagination ?
C'est un réel appel à l'Art pour le remettre au cœur de notre quotidien.
Voilà, j'en ai déjà dit beaucoup (trop) pour un livre aussi court mais je vous conseille vivement d'en faire la lecture (de moins d'une heure en plus!) si vous êtes dubitatifs, perplexes ou au début de vos réflexions sur la question.