"une bande de n....... peints que vous êtes" ?

Pour une fois j'ai envie d'ouvrir ici un débat, car je ne pense pas qu'une critique descriptive comme je les rédige en général (j'utilise ce site avant tout comme un carnet de lecture personnelle) apporte davantage que ce qui a sûrement déjà été écrit.


Allez, faisons-le tout de même, en guise de prologue : le début du roman est assez fascinant par son atmosphère irréelle. Deux enfants, l'adolescent charismatique Ralph et l'introverti mais intelligent Piggy, se retrouvent sur un lagon. Ralph trouve une conque. Il souffle dedans. Cela rameute d'autres enfants, dont les plus jeunes ont six ans. Ce sont les rescapés d'un avion anglais qu transportait des écoliers à travers le Pacifique, avant d'être abbattu (nous sommes dans les années 1940)et de s'écraser sur une île a priori paradisiaque . Le début d'une robinsonnade ? Hélas, la nature humaine va se révéler.


J'avais hâte de lire ce classique pour avoir croisé de nombreuses oeuvres y faisant référence (de Hook à la partie amputée de Metal Gear Solid V). J'ai beaucoup aimé le début, d'abord pour cette ouverture in medias res, comme si les personnages, au lieu d'avoir réchappés d'un accident, y avaient été placés par une force métaphysique. J'ai aussi beaucoup aimé l'impression de confusion des premiers chapitres : Ralph essaie d'instaurer un ordre pour la survie du groupe, mais il n'est pas sûr de ce qu'il fait (c'est un enfant), et le groupe a des lubies (la scène du premier meeting, quand le groupe décide irrationnellement d'aller allumer un grand feu sur le sommet de la colline). Le style de Golding est un peu chargé (il y a beaucoup d'adjectifs), mais la construction marche bien.


La régression du groupe d'enfants est progressive. Elle se noue principalement autour d'un conflit entre un pôle civilisé et un pôle sauvage. Côté sauvage, Jack, qui après avoir croisé un cochon sauvage et ne pas avoir osé l'attaquer, va être obsédé par le fait de prouver son habileté à la chasse, jusqu'à devenir une sorte de potentat viriliste et manipulateur. Côté civilisé, Ralph, athlétique mais parfois accablé par les responsabilités qu'il prend auprès d'un groupe qui se repose sur lui, et qui défend malgré tout les faibles comme Piggy. Un pôle obsédé par l'entretien d'un feu qui peut amener des secours, feu que l'on peut allumer seulement avec les lunettes à triple foyer de Piggy.

Dans un premier temps, Ralph, doté du charisme de la conque qui lui permet d'organiser des réunions sur la plage, est élu chef, mais sait ménager la suceptibilité de Jack. Suivent plusieurs étapes décisives dans la descente aux enfers : la première chasse réussie de Jack, qui malheureusement pousse à laisser éteindre le feu alors que la fumée d'un bateau était visible ; et surtout, un élément d'angoisse losque le sommet de la colline où est installé le feu d'alerte reçoit le cadavre d'un pilote anglais, dont le parachute vu de nuit, gonflé par le vent, va être pris pour un monstre. C'est le début de l'ascension au sein du groupe de Jack, qui intente à Ralph un procès en poltronnerie, fait scission avec son clan de chasseurs et crée des rites d'offrandes et de danse pour éloigner le monstre mystérieux. Au cours d'une orgie post-chasse, la troupe en transe tue Simon, garçon contemplatif et solitaire qui avait eu le courage de comprendre ce qu'était le monstre.

Au terme du roman, Jack a placé sous son autorité l'essentiel du groupe dans une forteresse où il met en place un ordre tribal (les maquillages de chasse lui accordent un charisme nouveau). Piggy, deux jumeaux et Ralph, laissés seuls, sont attaqués de nuit et se font dérober leur principale ressource (les précieuses lunettes). Désespéré, Ralph monte à la forteresse de Jack, le provoque en duel, mais Piggy est jeté dans le vide, les jumeaux sont capturés. Alors que Ralph, chassé comme un animal sauvage, va être tué et que la forêt est en feu, un équipage anglais trouve les enfants sur la plage, médusé de leur état de sauvagerie.


Alors, aurait-on un croisement entre L'île mystérieuse de Jules Vernes et Au coeur des ténèbres de Joseph Conrad ?


Commençons par la référence aux robinsonnades. De ce point de vue, le livre est très habile. On retrouve les classiques de ce type de situation : repérage du point le plus haut pour constater qu'on est sur une île, organisation de la collecte, création d'un signal de détresse, construction de cabanes, spéculation sur les parties non explorées, peur de la nuit, de la pluie, de l'inconnu... Mais rien ne se passe de manière aussi idyllique que chez les boy-scouts de Jules Verne, car on est face à de vrais enfants, qui ont du mal à persévérer dans leurs efforts, abandonnent vite pour un jeu, dont l'humeur contamine facilement les autres... C'est très bien observé. On notera l'absence de certains passages obligés d, comme la récupération d'objets sur l'épave (jamais mentionnée). Et par contre de beaux passages montrant la peur d'un basculement dans la folie

(le fameux "lord of the flies" étant une tête de cochon empalée sur une pique, que Jack dresse en offrance au "monstre", et que Simon, puis Ralph, rencontrent nez à nez comme une figure sardonique moquant leurs efforts pour rester civilisés.


Subversion réussie, donc, de la robinsonnade. Maintenant, le point crucial. Le roman réussit-il sa parabole sur la noirceur de l'âme humaine, prompte à tomber, face à des peurs irrationnelles, dans les pièges de la superstition, de l'arbitraire et de la force brute au détriment de la rationalité et de la démocratie ?


Mon "oui" se fera avec réserve, car plusieurs passages m'ont fait tiquer.


1 - Lors de la confrontation décisive, Piggy, qui incarne malgré ses défauts la rationalité, lance "Qu'est-ce qui vaut mieux.... se conduire comme une bande de nègres peints que vous êtes, ou se montrer raisonnables comme Ralph ?"




2 - Plus haut, quand Jack fait démonstration de charisme en distribuant à ceux qui lui font allégeance le fruit de sa chasse et le jus de calebasse, on a le passage suivant "Jack but, les yeux fixés sur ralph et Piggy par-dessus le bord irrégulier de la calebasse. Ses bras bruns et musclés lui conféraient la puissance. L'autorité, telle une gueunon perchée sur son épaule, le harcelait".


3 - Lors du dénouement, le capitaine dit "Il m'aurait semblé, commença l'officier que n'enchentait pas la perspective d'une fouille dans cette île, il m'aurait semblé qu'un groupe de garçons britanniques - car vous êtes tous britanniques, n'est-ce pas ? - aurait réagi de façon plus énergique, enfin je veux dire..."


Vous voyez où je veux en venir ?


Le roman en effet célèbre la civilisation sur la sauvagerie, mais c'est clairement la civilistion du mode de vie anglais. Et la sauvagerie décrite semble fondée sur des fantasmes sur la sauvagerie non-blanche. Je ne dis pas que le roman est raciste. Après tout, on peut trouver ce type d'ambiguité dans le roman de Conrad - mais je suis prêt à excuser un roman écrit au tournant du XIXe, qui n'idéalise pas non plus outre-mesure la colonisation. J'aurais tendance à être plus sévère avec un roman des années 1950. Bon, c'est le premier écrit de Golding que je lis, je ne demande qu'à me tromper. On peut aussi dire que ce sont des stéréotypes de jeux d'enfants (jouer aux indiens), mais j'ai tout de même quelques doutes (la mention de la gueunon était-elle nécessaire ?)


Encore une fois, je ne nie pas l'habileté psychologique du roman, et j'aime sa desciption de la nature, en contrepoint de la nature humaine. Mais je suis ouvert à toute discussion dans les commentaires.

zardoz6704
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le 11 sept. 2025

Modifiée

le 11 sept. 2025

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