Beale Street nous parle
Si Beale Street pouvait parler raconte une histoire qui s’inscrit dans l’Histoire, celle du ségrégationnisme systémique de la police et, plus généralement, de la société américaine. Il montre comment...
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le 9 juin 2025
Si Beale Street pouvait parler raconte une histoire qui s’inscrit dans l’Histoire, celle du ségrégationnisme systémique de la police et, plus généralement, de la société américaine. Il montre comment un policier et un procureur, par haine des Noirs, construisent une fausse accusation contre Fonny, jeune homme de 22 ans amoureux de Tish (19 ans), en amenant une Portoricaine victime d’un viol à désigner Fonny comme son auteur. L’ouvrage vient juste d’être republié en livre de poche, avec cependant la même traduction que celle d’origine et surtout la même préface fade de Geneviève Brisach, quand tant de choses ont été écrites récemment sur Baldwin qui donnaient la possibilité d’ouvrir l’œuvre de ce dernier par des mots plus à la hauteur du texte saisissant que découvre le lecteur.
Car c’est un texte saisissant, comme presque tous les écrits de Baldwin. Plus encore que ses essais, les fictions de Baldwin donnent à percevoir concrètement la réalité de ce que perçoivent les Noirs dans un système ségrégationniste : ce que les essais font percevoir surtout par la compréhension intellectuelle (même s’ils ne manquent pas d'une sensibilité qui parlent aux affects), le roman le fait par une approche plus sensible, le jeu de l'identification littéraire permettant en quelque sorte une perception transitive (je perçois en tant que lecteur ce que perçoit le personnage).
Ce roman est la voix des Noirs américains et, contrairement au conditionnel du titre, donne bien la parole à Beale Street, célèbre rue de Memphis chantée en 1916 par W.C. Handy « Beale Street Blues », dont les premiers mots du refrain font le titre du roman.
L’ouvrage, écrit (en anglais) à Saint-Paul de Vence en 1973, est d’une facture classique, assez loin des codes du Nouveau roman qui brillait alors de ses derniers feux. Pour autant, comme dans d’autres de ses romans, Baldwin met en œuvre deux importants procédés formels qui dynamisent le récit et ont un effet sur l’émotion et la compréhension du lecteur : le premier est l'alternance entre deux époques de la vie des protagonistes, avant et pendant la prison, qui permet des ruptures de ton et de sensation ; l'autre est le choix d'un point de vue focal, celui de Tish, cependant transgressé par de nombreuses scènes racontées sans que Tish ait pu en être témoin : certes (et c'est parfois explicitement dit) elles peuvent avoir été racontées par des témoins a la narratrice, mais le récit qui en est fait porte l'empreinte de l'imagination de la narratrice ou... de l'auteur, ce qui renforce l'identification de Baldwin à Tish, qui affleure à l'esprit du lecteur à bien des égards.
L’horreur de la situation que vit Fonny et sa famille et ses proches entre en tension avec l’amour qui imprègne le récit, du sentiment familial à la sensualité sexuelle que Baldwin peint comme personne (ce roman fait plusieurs fois penser aux belles pages de La Chambre de Giovanni) – ce contraste n’étant pas en noir et blanc, car Baldwin déteste toute essentialisation. L’auteur accompagne cette tension par un style enlevé, souvent ponctué d’un humour malicieux ou féroce selon les cas – et c’est ce style ce que perd bien évidemment l’adaptation cinématographique de Barry Jenkins (2018), pourtant réussie à bien des égards.
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le 9 juin 2025
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