Tant de véhémence pour pas grand-chose. Dans la diatribe et la véhémence, Aragon excelle. Bien qu’il soit d’un grand style, le texte n’est pas exempt de défauts, c’est le moins que l’on puisse dire. D’abord, une extraordinaire prétention, une folle hubris éjaculatoire, celle de penser que l’on a tout acquis et tout compris : le style, ses contemporains et la littérature française du XXᵉ dans son ensemble. Le texte m’a profondément agacé par son inexactitude et sa façon de « jeter bébé avec l’eau du bain ». Son avis sur le surréalisme est passionnant, à l’instar de celui sur la syntaxe. Quant à son avis sur les écrivains de son temps, ou du temps passé disons, comme André Gide écrivain du formidable Nourritures terrestres (1897), on peut dire que c’est succinct, voire putassier :
« mais quand passé la cinquantaine ils se laissent aller au roman, on voit combien ils ont la tête farcie d’étudiants, de cafés, de monômes, sans parler des grisettes. Ainsi lisez les Faux-Monnayeurs, par André Gide . C’est typique. Ah qui dira le mal que font les métaphores, les torts du mot Analogie, le poids écrasant des correspondances baudelairiennes ? »
Que dire de l’héritage que laissera Louis Aragon dans les annales de la littérature française, après tout, que son Aurélien (1944) est ma foi quand même très fabriqué et assez vain dans son final, comme il le dit lui-même :
« Tout ce qui attend un héritage parle de disparaître un jour. »
La grande thèse d’Aragon, la voici :
« On sait que le propre du génie est de fournir des idées aux crétins une vingtaine d’années plus tard. »
Mais lui, dans ce texte, que laisse-t-il aux générations suivantes ? Un amas de mots plus ou moins savants et d’élucubrations abracadabrantesques.
« L’humanité aime à parler proverbialement. »
Aragon lui-même aime parler proverbialement, c’est ce qu’on appelle l’hôpital qui se fout aimablement de la charité. Il s’en prend au clergé, à l’armée, aux bourgeois, aux classes dirigeantes et à la populace obséquieuse de manière générale. Quoi vous dire ? C’est souvent battu en brèche par des réflexions faites à la vas-comme-je-te-pousse et sans réelle analyse. Un observateur de Céline avait dit que Le Voyage au bout de la nuit (1932) était le tout-à-l’égout de la littérature ; je dirais qu'Aragon fait dans le tout-à-l’égo, assez disproportionné j’en conviens !
« Je veux parler du mot Garçonne. On perdrait son temps en subtilités, ce mot a fait plus pour l’émancipation des jeunes filles que le législateur Naquet pour celle des femmes mariées. »
: sans commentaires tellement c’est affligeant de bêtise et de prétention. Quant à sa harangue vipérine sur la drogue, c’est peut-être ce qui m’a le plus ennuyé , je vous laisse apprécier :
« Il veut se soustraire à la suite de sa pensée ou de sa douleur. Il croit qu'il peut s'y soustraire. Voilà ce que j'ai contre lui. Au nom de quoi se soustrairait-il à ce qu'il est ? »
Mais au nom du je-m’en-foutisme souverain et de la gaudriole, mon cher ! Qui es tu pour te prévaloir d’une quelconque ascendance morale ou d’une quelconque valeur sur un utilisateur du pampre ?
« Contenu inexistant. Nul. L'escroquerie. Tous ceux qui veulent nous présenter sur le ton de l'aventure, de l'expérience, ce remède incertain sont des esbroufeurs. Il n'est pas lyrique de se droguer. C'est tout simplement lamentable [...]. Rien de plus. Non seulement la drogue est une pauvre chose, mais celui qui la prend, au moment où il la prend, obéit à une postulation misérable. [...] »
Voilà quelque chose de bien sûr de son bon droit, de sa bonne constitution que nous offre le cher Louis, on croirait entendre ma grand-mère…
Quant à "conchier l’armée française", j’ai envie de dire que c’est au choix. Je ne vois pas d’analyse consubstantielle qui puisse aller dans ce sens sans un certain impensé, celui de l’adolescence. Mais ça rentre un peu en contradiction avec mon propos sur la drogue. Mais je chipote. Le texte est tantôt visionnaire et audacieux et tantôt bêtement trivial. Et une bonne dose de scathologie au départ ne me fera pas oublier cette pinaillerie sur la drogue, je vais lire prochainement Michaux pour comparer, à suivre donc…
Tout est affaire de décor
Changer de lit changer de corps
A quoi bon puisque c'est encore
Moi qui moi-même me trahis
Moi qui me traîne et m'éparpille
Et mon ombre se déshabille
Dans les bras semblables des filles
Où j'ai cru trouver un pays."
Est-ce ainsi que les hommes vivent, le roman inachevé
ça c'est beau !