Partir un jour, sans retour ?
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le 9 sept. 2025
Après Feu et Western, Maria Pourchet boucle une trilogie consacrée à des femmes en rupture. Mais là où les précédents récits s’enflammaient ou s’insurgeaient, Tressaillir est une histoire de retrait sans fracas. Michelle, la narratrice, quitte son compagnon Sirius et leur fille Lou, non par colère ni par désir d’ailleurs, mais pour sortir d'une vie devenue trop lourde et trop étroite. Ce départ qui n'est pas une échappée a tout d’une chute et d’une désagrégation consentie.
Réfugiée dans une chambre d’hôtel impersonnelle, elle laisse son corps s’affaisser et sa pensée se disperser, gestes suspendus et repères dissous dans le brouillard de la dépression. Pourtant, tout au fond, malgré la peur ancienne et mal identifiée qui sape sa confiance, quelque chose résiste. Elle ne part pas pour se libérer, mais pour se protéger. Ce qu’elle fuit, c’est moins l’homme qu’elle quitte que l’image d’elle-même qu’elle ne parvient plus à soutenir. Elle se tourne vers une relation antérieure, espérant y trouver un abri : non pas l’amour, mais un regard qui ne menace pas.
Ce qui entrave Michelle ne vient pas seulement du présent. Le roman laisse affleurer un souvenir enfoui, un traumatisme diffus lié à la forêt vosgienne de son enfance, hantée par l’affaire Grégory. Jamais nommé frontalement, ce drame collectif agit comme une ombre portée, imprégnant les lieux, les silences et les peurs. Quelque chose s’est figé là, dans cette région natale, qui continue de travailler Michelle à son insu, la maintenant sous l’emprise invisible d’un passé non résolu et d’un malaise transmis sans mots qui l’empêchent d’avancer, de se détacher et de se reconstruire.
A vif, syncopée, traversée de sarcasmes et d’éclats poétiques, l’écriture reflète cette tension. Avec ses phrases qui heurtent, bifurquent et s’interrompent, c'est une voix qui se débat et tente de se maintenir dans le langage comme on tente de rester debout.
Jamais nommée, la dépression est partout, dans le ralentissement, l’effacement du désir et l’impossibilité de se projeter. Pourtant, au bout du tunnel qu’est le roman, une lueur apparaît quand un psychiatre ouvre discrètement un espace de parole. Ce n’est ni une solution ni une promesse, mais un déplacement, une variation minuscule dans le regard porté sur soi, qui suffit à desserrer la peur et la sensation de menace.
Tremblante et incertaine, Michelle incarne pourtant le refus des rôles imposés, des récits convenus et des justifications attendues. Contrainte au retrait parce qu’épuisée, elle incarne un féminisme si discret qu’il ne s’énonce jamais, mais pulse comme une nécessité vitale. Sa rébellion surgit d’un instinct de survie, quand la fatigue d’exister et la peur héritée rendent toute adhésion impossible. Cette asphyxie, cette démission sans éclat, Maria Pourchet en fait la matière vive d’un roman traversé par une langue nerveuse, sarcastique, incandescente – où la souffrance ne se raconte pas, mais s’éprouve. Coup de coeur.
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Créée
le 26 sept. 2025
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