Ce roman déroule le fil d’une lignée – les Vernet, vignerons fidèles à la Seine comme à leur terre – sur cinq générations, depuis les années 1870 jusqu’aux premiers frémissements du XXIe siècle. Longtemps, la vie s’écoule paisible, au rythme des saisons et des transmissions de père en fils. Mais un jour, un pont est construit, qui relie les deux rives mais sépare les âmes, rompant l’équilibre ancien et ouvrant, à la fois une brèche dans le paysage, et un siècle de remous.
La France change, et les Vernet avec elle. Pendant que certains, gardiens des traditions et d’une mémoire enracinée, restent arrimés à leur rive, d’autres, portés par le souffle de la modernité, s’élancent et franchissent le pont, rejouant dans cette fracture intime les tensions du pays tout entier entre le passé qui rassure et l’avenir qui appelle.
Faisant de cette tension le nerf de son récit, Pauline Dreyfus cartographie les fidélités et les renoncements. Avec une plume légère, parfois espiègle, elle glisse des clins d’œil à l’histoire nationale, tissant une complicité douce avec le lecteur. Le roman coule ainsi, fluide et savoureux, comme un vin bien élevé.
Au centre, le pont s’impose de plus en plus comme le trait d'union entre hésitations et désirs d’émancipation. Car franchir le pont n’est jamais un geste simple. Entre avancées, reculs, bifurcations et doutes, l'ouvrage se fait le théâtre muet de ces mouvements contraires où tradition et nouveauté s'affrontent, l'incessant va-et-vient entre fidélité et rupture n'excluant d'ailleurs pas les retours à l’origine.
Alors, peu à peu, ce pont s’élève au rang de symbole. Lien entre deux mondes, il incarne le passage de la certitude vers l’inconnu, du vécu vers l’imaginé, autrement dit l’écoulement de la vie elle-même. Fil tendu entre naissance et mort, entre héritage et invention, il est ce trait d’union, fragile et puissant, où se nouent les dynamiques du temps, de l’identité et de la transmission.
Un roman intelligent, drôle et gracieux, qui tisse avec élégance les fils invisibles de l’histoire et de l’intime, révélant, dans l’élan d’un pont, tout ce que le mot « passage » recèle de vertige, de crainte et de désir.
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