Vipère au poing
6.8
Vipère au poing

livre de Hervé Bazin (1948)

On te fait lire "Vipère au poing" quand tu deviens ado, pour bien te faire comprendre qu’en fait, tes vieux, aussi "trop cons" que tu les trouves, sont accommodants. Le cadre familial étouffant dans lequel le récit prend place — la haute bourgeoisie mayennaise fin-de-lignée, arc-boutée sur sa pudibonderie, sur son catholicisme atavique et sur des rapports sociaux quasiment féodaux — en prend pour son grade. Le père du narrateur incarne à merveille la chiffe molle version Troisième République. Mais c’est surtout Folcoche, auprès de qui Mme Lepic, la Thénardier ou la marâtre de "Cendrillon" passent pour des modèles de dévouement maternel, qui marque, dans tous les sens du terme, son fils Jean Rezeau, alias Brasse-Bouillon. Là-dessus, pas loin de deux cents pages, au cours desquelles le ton, d’abord très sarcastique, se fera de plus en plus ouvertement agressif — tout cela dans un style classique et riche qui se déploie à l’envi.

En parallèle, à mesure que Brasse-Bouillon grandit, les critiques qu’il fait à sa génitrice évoluent, et les accusations de maltraitance cèdent la place à un reproche que ne reconnaîtra jamais aucun tribunal : Mme Rezeau ressemble à Brasse-Bouillon… « Il n’est aucun sentiment, aucun trait de mon caractère ou de mon visage que je ne puisse retrouver en elle. […] Salut, Folcoche ! Je suis bien ton fils, si je ne suis pas ton enfant. » (p. 171-172). Car autant Cendrillon, Cosette et dans une moindre mesure Poil de Carotte incarnent l’innocence enfantine passivement humiliée, autant Jean Rezeau n’est pas tout blanc. Non seulement il souhaite la mort de Folcoche, mais il cherchera à la provoquer.

C’est lui qui, dans un des monologues imaginaires qui deviennent de plus en plus nombreux en même temps que l’histoire se déploie — et que la puberté fait son effet —, déclare que « l’homme qui souille une femme souille toujours un peu sa mère. On ne crache pas seulement avec la bouche. » (p. 168). La seule chose que la mère du narrateur peut lui enseigner, et par l’exemple, c’est la méchanceté. Ce récit d’un affrontement raconte l’apprentissage de la guerre psychologique, dans ce qu’elle a de plus sale. Les belligérants mettront à profit les rares cessez-le-feu — quelques jours de maladie ou de vacances — pour fourbir leurs armes.
Alcofribas
7
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le 12 janv. 2015

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