White
6.3
White

livre de Bret Easton Ellis ()

Depuis 2010, Bret Easton Ellis n'avait rien publié de neuf. L'auteur spectaculaire d'American Psycho et de Lunar Park (deux romans en tout point excellents) nous gratifiait à l'occasion de remarques brumeuses sur la suite de son travail littéraire ("Je n'ai pas encore trouvé la manière d'écrire mon prochain roman ; il est là, quelque part, autour de nous." - ben voyons.) ; ajoutez à cela que Suite(s) impériale(s) est franchement moyen et que les divers projets auxquels son nom a été associé n'ont, on peut le dire, rien eu de très mirobolant, et vous obtenez 15 ans d'errance artistique (oui, j'exagère - à peine).
Mais Bret semble avoir trouvé la manière d'écrire ce roman flottant autour de nous, et cela en étonna plus d'un quand on apprit que le romanesque fut exfiltré au profit de l'essai, du pamphlet.
Bret nous a catapulté White.
What is White ?
Je prends ce livre essentiellement comme un témoignage stylisé, une chronique térébrante sur l'agitation croissante aux Etats-Unis : désinvestissement, victimisation, autocensure, l'idéologie primant sur l'art, uniformisation, autoritarisme, hystérisation, séparation... difficile d'en faire le résumé ordonné et exhaustif. Cela foisonne, bourré de références, d'exemples, dans une langue pas vraiment belle, mais qui s’attelle à faire fuser le factuel comme des calottes. (Là réside d'ailleurs l'intérêt principal du livre.)
Là réside d'ailleurs l'intérêt principal du livre, car Bret Easton Ellis, avouons-le, enfonce des portes ouvertes pour qui observe un tant soit peu son temps, ou suit vaguement les débats intellectuels de-ci de-là (pas forcément états-uniens cela dit ; car, vous l'aurez remarqué, les Etats-Unis étant la première puissance occidentale, et de surcroît mondiale, toute la merde qu'ils se tapent vient se trimbaler sur le vieux continent par sympathie.) Tout ce qu'il décrit dans ce bouquin est connu, nous est familier, et ce, même si les références utilisées, parfois pointues, nous sont inconnues.
Les appréciateurs de Bret Easton Ellis, comme moi, trouveront leur compte à lire le constat quasi brut de la situation par la plume qu'ils adorent, ce qui, je crois, ne risque pas d'être le cas d'autres lecteurs moins sensibles à l'univers du bonhomme, car ceux-là, en n'y apprenant pas grand-chose, ne se consoleront même pas de l'intérêt stylistique. Car, oui, les explications (quand il y en a) ne sont pas toujours très convaincantes, mais la description reste mortellement efficace ; et en définitive, cette "non-fiction" trouve parfaitement sa place au sein de l'œuvre romanesque de Bret Easton Ellis comme si, ce coup-ci, la réalité avait été bien meilleure que ses mises en scène, son imagination, pour mettre en évidence ce dont il parle toujours : la superficialité, le faste, le nihilisme, et toutes ces choses fleuries...
Pourrait-on dire que c'est un appel au calme et à la raison ?


En relisant ma critique, je me dis qu'il est fort probable que ce livre tombe presque toujours en terrain conquis, que les potentiels "adversaires" de cette vision ne le liront pas. Et, en fin de compte, j'y vois une contradiction avec l'esprit de l'essai en question. Bret Easton Ellis, qui avait pour vocation avec ce travail de faire éclater nos petites bulles, n'en fera rien. Il nous l'explique lui-même. Les oppositions refusent de se rencontrer. On ne veut plus d'altérité. On souhaite du likeable en veux-tu en voilà. Penser pareil. Alors y a-t-il la possibilité d'une vraie rencontre désaccordée ?
C'est là la grande question que j'aimerais poser s'il m'était possible de taper la discut' avec lui comme au café du coin : pourquoi compte-t-il se détourner du roman particulièrement aujourd'hui, alors que seul l'art est disposé à faire sauter toutes nos bulles qu'il déplore ?

Benson01
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le 14 mai 2019

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