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Le retour très attendu de Black Mirror sur Netflix nous donne l'opportunité de revenir sur cette série-phénomène. Malgré quelques défauts, sa troisième saison parvient à respecter et même parfois enrichir le propos initial.


[écrit à l'occasion de la sortie de la saison 3 sur Netflix]
Discrète, l'ancienne série de Channel 4 s'est rapidement fait remarquer comme une des plus subversives de cette décennie. Violemment, elle nous met face à nos propres déviances. Chaque épisode est une sombre fable dont le dénouement nous laisse souvent tremblant, voire choqué. Bien que les nouvelles technologies et leur impact aient un rôle non négligeable dans la majorité de ces histoires, le véritable enjeu demeure humain : nous affrontons les conséquences de nos peurs, nos vices, nos dépendances.


Ainsi, on retrouve par exemple le malaise occasionné par des phénomènes de masse, qu'il s'agisse du pouvoir de l'opinion publique (The National Anthem, The Waldo Moment), de la cruauté en groupe encouragée par le grand spectacle et la télé-réalité (15 Million Merits, White Bear) ou les réseaux sociaux avec plusieurs allégories du cyber-bullying à travers la série (dont Nosedive et surtout Hated in the Nation). Le recul cynique de Black Mirror ne se contente pas d'un mépris des masses ; l'individuel en prend aussi pour son grade, aux prises avec les conséquences de ses comportements : superficialité, orgueil, colère... la série se plonge dans une analyse qui frôle la dénonciation de péchés capitaux, dans une démarche presque mystique.


Ces dérives sont effectivement cristallisées par la nouvelle technologie, du simple smartphone à la réalité virtuelle, en passant par les mini-drones assassins ou le transhumanisme. Et cet humain augmenté assistera souvent à sa propre chute, victime de son insatisfaction, de son ambition démesurée... On peut même imaginer que toutes ces histoires se déroulent dans le même espace-temps, le nôtre, et qu'on leur trouvera, à terme, un lien étrange.


Car la grande force de Black Mirror réside dans cette capacité à détecter des phénomènes actuels et en pousser le trait jusqu'à façonner des univers dystopiques qui pourraient, de manière plausible, exister d'ici quelques années. Un monde où les gens seraient notés en fonction de leur image auprès des autres et leurs publications sur les réseaux sociaux (Nosedive) ? Ce monde existe déjà : il s'appelle Sesame Credit, et sera rendu obligatoire par le gouvernement chinois en 2020. Notre note personnelle influera sur nos rapports aux autres, et les plus mal notés seront isolés par leur pairs, comme porteurs de cette maladie contagieuse : la non-conformité.


Le récent rachat de Black Mirror par Netflix atténuera peut-être la hype provoquée par le phénomène de rareté, et de 3 épisodes par saisons, nous passons à 6. Pour la plupart, un format court-métrage aurait suffit, et on a l'impression d'assister à du remplissage. Mais Charlie Brooker reste heureusement à l'écriture pour la majorité des épisodes et cela se sent dans la trame générale, tandis que les réalisateurs continuent de se succéder avec chacun sa patte, avec plus ou moins de succès. Ainsi, l'épisode Playtest, brillamment terrifiant, explore les excès que pourraient entraîner la réalité virtuelle, mais se trouve gâché par une direction d'acteur déplorable et ses dialogues irritants. A l'opposé du spectre et sur un sujet similaire, San Junipero offre une expérience lumineuse, magnifiquement interprétée par Mackenzie Davis et Gugu Mbatha-Raw, et à l'atmosphère délicieusement rétro. Dans cette saison, on entrevoit parfois même une lueur d'espoir dans l'anticipation pessimiste d'une humanité en dérive, prisonnière de ses addictions technologiques.


La réflexion que Black Mirror offre sur la société mérite qu'on s'y attarde. Son succès prouve que nous nous y retrouvons, et que l'expérience est si marquante que se ressent le besoin d'en parler, d'échanger. Maintenant que nous savons où tout cela nous mène, qu'allons-nous faire face aux sombres miroirs de nos propres âmes en perdition ?

Filmosaure
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le 29 déc. 2016

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