Chernobyl, mini-série HBO, est bien ficelée. Bien jouée. Bien réalisée. Bien intéressante. Bien divertissante. Mais tout du long, pendant les cinq épisodes, c'est à Antigone que j'ai pensé. Celle de Sophocle. Celle qui dit Je te pisse à la raie à son oncle Créon. Le maire de Thèbes. Celui qui refuse une sépulture, c’est-à-dire le repos éternel, à Polynice, le frère d’Antigone - il considère qu'il a trahi la Cité.
La question est : Antigone est-elle anti-nucléaire ?
La réponse est : a priori, oui.
Antigone, dans la vie, est plutôt anti. Par exemple, elle est contre (anti) sa famille (gone). Et c’est pour ça que je suis pour Antigone (1). Je trouve charmant son côté anti. Je ne suis pas sûr qu’elle soit l'avenir de l'homme, mais elle est certainement la grande sœur - au sens où on parle des « grand frère » à Grigny ou à Aulnay-Sous-Bois - de toutes les rebelles et de tous les antisystèmes.
La question est : Antigone est-elle anti-HBO ?
La réponse est : a priori, oui.
J'aime Antigone. Elle ne se laisse pas faire dans un monde d'hommes. On la dit laide, mais elle s'en bat la chatte (2) : vivre pour plaire ne l'intéresse pas. Elle veut vivre sans compromis, sans rougir. Elle tague « Non ! » sur les murs de Thèbes. Elle est la seule, la seule !, qui n'abandonne pas Œdipe. Son reup. Son brother. Elle est son sang, ses yeux. Avec lui, elle parcourt tous les chemins de l'exil. C’est une princesse compliquée née dans une famille compliquée. Une princesse maudite qui vécut malheureuse et n'eut jamais d'enfants.
La question : Antigone est-elle pro-réchauffement climatique ?
La réponse est : a priori, non.
Je déteste Antigone. Elle ne s'intéresse qu'à elle, à ses principes, à sa gueule, à son cœur. Elle veut qu'on enterre son frère Polynice. D'où ça sort cette envie ? Pourquoi soudain cet attachement au respect de la coutume ? Elle nous casse les roubignoles l’Antigone. Et elle nous prend pour des pintades, elle n'en a rien à cirer de la coutume, elle la connait à peine, elle veut seulement défendre les faibles et les vaincus. C'est son dada. Son papa. Œdipe. Le vaincu des vaincus.... Dès qu'elle voit un faible, un pauvre, un tout pourri, hop !, elle ne peut pas s'en empêcher : elle l'embrasse sur la bouche
La question : Antigone est-elle pro-minisérie américaine ?
La réponse est : a priori, non.
A la fin de la tragédie de Sophocle, Créon vit mais ne sait pas pourquoi il vit. Antigone est morte mais elle sait pourquoi. Qui a gagné ? Qui a perdu ?
Antigone est l'héroïne solitaire qui, à chaque fois qu'on est en 1942, lève le poing. Elle est la Marianne de la Résistance. La statue de la Résistance. Elle donne le "non" comme un chef d'orchestre le la. Elle fait des bras d'honneur à tous les pros et - chuuuuuut ! - elle aurait probablement été une très mauvaise mairesse de Thèbes.
La question est : quel est le rapport entre ce texte et la mini-série Chernobyl ?
La réponse est : Emily Watson.
Il y a beaucoup d’hommes dans cette mini-série britannico-américaine. Ils ont tous des avis. Mais on s'en cogne. Il y a aussi deux femmes. L’une d’entre elles aime le pompier Vassili un peu, beaucoup, à la folie. Elle est enceinte de lui. L’autre dit non. Non à l’URSS. Non à l’Etat. Aux mensonges. Elle s’appelle Ulana Khomyuk - incarnée par Emily Watson - et elle est, bien entendu, une jumelle, une fille, un synonyme d’Antigone.
(1) Pour des raisons raisonnables, je simplifie le grec ancien.
(2) Au féminin aussi, réflexion faite, c’est un peu vulgaire.
NB : le texte ci-dessus, absurde, doit ses seuls passages sensés à un formidable album jeunesse intitulé Antigone et signé Yann Liotard et Marie-Claire-Redon, éd. La ville brûle, 2017.