Avoir une jolie photographie ne suffit pas.
Avoir un bon casting ne suffit pas.
Utiliser l’Histoire sans vraiment l’utiliser est insuffisant.
Et cocher les cases du mélo coréen ne me suffit plus.
A Hundred Memories avait tout pour me plaire : une époque riche, une mise en scène soignée, un ton mélancolique. Mais il m’a manqué quelque chose. Un frisson, une vibration, une émotion. J’ai regardé la série avec intérêt, sans passion. Comme si tout restait derrière une vitre. J’admirais, mais je ne ressentais rien.
Pourtant, certains moments m’ont touchée : la complicité des hôtesses de bus, leur vitalité, ces instants de rires partagés dans la fatigue. Il y avait là quelque chose de vrai, de vivant, presque documentaire. J’aurais voulu que la série s’enracine dans cette matière-là. En revanche, l’amitié entre Young-rye et Jae-pil m’a laissée sur ma faim : il manque un épisode, un souffle, quelque chose qui aurait permis de mieux ancrer leur lien.
Kim Da-mi, sans être bouleversante, dégage une douceur tranquille, un mélange de pudeur et de loyauté qui m’a retenue. À l’inverse, Shin Ye-eun m’a souvent sortie du récit : trop de surjeu, trop d’intentions, pas assez de sincérité. Dommage, car leurs rôles auraient mérité plus de nuances.
Je connais la plume de Yang Hee-seung (Une Femme familière, Once Again, Weightlifting Fairy Kim Bok-joo…). Elle aime les secondes chances et les silences. Ses personnages, souvent blessés, avancent malgré tout, avec cette obstination du cœur qu’elle filme si bien. Kim Sang-ho (Thirty-Nine) les met en scène avec une délicatesse rare : des cadrages qui s’attardent sur les regards, des gestes suspendus, une photographie splendide. Visuellement, c’est superbe, comme une mariée qu’on préparerait soigneusement.
Ce qui m’a paru dommage, c’est le cadre historique, relégué à un simple décor. Située d’abord en 1982, puis en 1989, la série évoque la vie des hôtesses de bus sans vraiment explorer sa vérité. Elles apparaissent en uniforme, souriantes et polies. Mais derrière cette jolie apparence se cache une histoire bien plus sombre : celle de jeunes femmes venues des campagnes, à peine adultes, embauchées pour percevoir les tickets, ouvrir et fermer les portes, maintenir l’ordre, debout, toujours. Leur travail harassant, leur précarité et le mépris social qu’elles subissaient traduisent une époque où la pauvreté féminine se confondait avec la honte. Beaucoup étaient considérées comme des filles de la rue, exposées aux gestes déplacés et aux humiliations quotidiennes. Ces femmes, la série les effleure plus qu’elle ne les raconte, préférant la douceur des souvenirs à la rugosité du réel.
Si la grève est inspirée de faits réels, elle est romancée jusqu’à l’invraisemblance historique : en 1982, sous la dictature de Chun Doo-hwan (la répression sanglante de Gwangju en 1980...), la presse n’aurait jamais couvert aussi librement un tel mouvement, encore moins lorsqu’il émanait de femmes. Même la reconstitution vestimentaire trahit l’époque : casquettes à l’envers, coupes modernes, détails trop contemporains. La photographie, belle mais trop jaune, évoque davantage les années 1970 qu’une fin des années 1980 plus contrastée. Dans ces années-là, on n’utilisait pas encore le vintage : on aimait, au pire, les couleurs franches, au mieux, le noir et blanc. La Corée en mutation, entre autoritarisme et ouverture, reste absente. Dommage.
Je ne suis pas coréenne, bien sûr, mais tout me semble un peu trop propre, trop lissé, comme si la mémoire collective avait choisi d’oublier la poussière et la peur avec la nostalgie.
Le triangle amoureux entre Young-rye, Jong-hui et Jae-pil n’apporte rien de neuf. Ce qui aurait pu devenir un portrait de la condition féminine se contente de rejouer les rivalités convenues. Jong-hui, personnage central, reste une esquisse : un jour bouleversée, le lendemain égoïste. Je n’ai pas su la croire. À l’inverse, Young-rye impose une vérité simple. Là où Jong-hui joue, elle ressent. C’est elle qui sauve la série, sans éclat, mais avec dignité.
Les seconds rôles apportent ce que le cœur du récit n’ose pas : une tendresse, une fidélité, une pudeur. Jung-hyun, Young-sik, Sang-cheol ou la mère célibataire Jeong-bun donnent à l’ensemble un peu d’humanité concrète, là où le trio principal reste enfermé dans sa joliesse.
À travers eux, on retrouve cette idée si coréenne que le bonheur ne réside pas dans la réussite, mais dans la persévérance, dans la chaleur des liens, même ténus. La filiation, la loyauté silencieuse, la dignité dans l’épreuve : autant de valeurs qui continuent d’irriguer la mémoire du pays, et que la série effleure joliment, sans toujours les approfondir.
Le saut temporel de sept ans, censé donner de l’ampleur, crée surtout de la distance. Les liens se distendent hors champ, et les retrouvailles semblent forcées. Et puis le scénario reste classique, du début jusqu’à la fin. Quant au parcours du frère de Jong-hui, sa construction est un peu légère.
Reste la beauté formelle : les teintes chaudes, les plans calmes, cette douceur visuelle qui apaise sans émouvoir. A Hundred Memories ressemble à un souvenir joliment encadré : on admire le cadre, on cherche la vie à l’intérieur.
Reste des éclats : la justesse tranquille de Kim Da-mi, le charme d’Heo Nam-joon (que j’aimerais vraiment retrouver), la sincérité de Jeon Sung-woo, la douceur de Kim Jung-hyun et, bien sûr, ma sœur de cœur depuis Parasite, Lee Jung-eun. Mais comme son titre, la série se disperse : cent souvenirs, oui, mais aucun qui me hante... Du coup, je rabaisse ma note car c'est une série qui disposait de moyens pour rendre une copie plus sérieuse.