Vous voulez jouer ? Alors plongez dans l’enfer à la place de Ji-an.
Le prénom Ji-an évoque la sagesse et la paix. Dans My Mister, Ji-an écoutait pour survivre dans un monde trop dur. Dans A Shop for Killers, une autre Ji-an écoute pour décoder et affronter le danger. L’une et l’autre avancent meurtries mais debout, prêtes à se battre.
Si la construction narrative vous déstabilise, c’est normal. Vous entrez dans un jeu, et vous êtes Ji-an. Comme elle, on ne comprend pas ce qui se passe. Ce choix de mise en scène impose l’immersion : confusion, peur et vulnérabilité deviennent les nôtres. Les flashbacks et révélations tardives ne servent donc pas seulement à combler l’intrigue mais traduisent deux réalités : d’une part, la méfiance qui habite Ji-an depuis l’enfance, marquée par la mort et la traque ; d’autre part, l’urgence de reconstituer le puzzle qui s’impose à elle quand son foyer devient une cible et que chaque indice transmis par son oncle devient une question de survie.
Le réalisateur nous jette dans le chaos à ses côtés. Impossible de prendre de l’avance : nous subissons, comme elle, la brutalité soudaine, les zones d’ombre et les menaces invisibles. Chercher à tout comprendre d’emblée n’a pas de sens. Il faut accepter de se perdre, d’avancer à tâtons, comme dans un Escape-Game où la logique n’apparaît qu’après coup, quand les erreurs, les pièges et les indices accumulés révèlent peu à peu le tableau d’ensemble.
C’est précisément ce dispositif qui fait la force de la série. Difficile d’en dire plus sans spoiler, tant son intérêt repose sur cette dynamique immersive que j’ai personnellement adorée.
Ji-an est jetée dans l’arène sans ménagement mais son oncle l’a préparée et Pashin le Thaïlandais l’a entraînée. C’est elle qui doit rassembler les codes qu’il a laissés, comme autant de portes à ouvrir. Coincée dans cette maison, la seule issue est de décoder, pas à pas, les énigmes qui la mèneront à la solution. Elle avance dans une incertitude totale. Entre la glaciale Min-hye, l’étrange Brother ou le compagnon Jeong-min, à qui faire confiance ? La beauté séduit pour tromper, et la sincérité ne se niche pas toujours derrière les visages les plus avenants.
Elle descend comme Ishtar aux Enfers et renaît comme Kali : dépouillée mais farouche, une fragilité métamorphosée en puissance. Son oncle lui laisse le choix entre deux options : fuir ou accepter son héritage. Tout l’enjeu de la filiation peut échapper à un occidental mais en Asie, il pèse considérablement. Et c’est ce qui permet de comprendre son choix final.
Jin-man, l’oncle, n’abandonne pas Babylon par idéal mais par lucidité. Mercenaire comme les autres, il ne vit que pour l’argent. Mais en épargnant une civile et en laissant planer le doute sur la mort de l'un d'entre eux, il fracture la logique implacable de l’organisation. Il sait alors que l'organisation se retournera contre lui et que sa famille deviendra une cible. Son retrait n’est pas liberté mais fuite consciente vers une confrontation (condamnation ?) inévitable.
Bale, lui, incarne l’inverse : la jouissance du sang. Son nom peut évoquer Baal, mot qui signifiait d’abord « seigneur ». Devenu dans la tradition biblique celui d’une idole honnie et diabolisée, il garde une résonance ambiguë : puissance vitale détournée en force oppressive. Bale n’est plus un homme, mais une présence maudite, corrompant tout ce qu’il touche. L’enfer incarné.
Babylon n’est pas seulement une organisation criminelle : c’est une entreprise de mercenaires, structurée en équipes rivales qui se jaugent et se redoutent mutuellement. Derrière l’apparente cohésion, chacun guette l’autre, prêt à retourner sa force contre son voisin. Ce climat de suspicion permanente rend la mécanique d’autant plus implacable et annonce la chute inévitable. Babylon devient ainsi le miroir moderne de la cité biblique : un empire criminel à son apogée, dont la grandeur porte déjà en elle sa ruine.
Le montage entretient cette intensité : transitions fluides, jamais gratuites, toujours tendues. Les bascules temporelles sont précises, lisibles et nerveuses. Les scènes d’action frappent fort, et sont souvent d’une grande beauté. J’ai encore en mémoire cet affrontement dans l’entrepôt où les balles éclatent le plafond, dessinant un ciel d’étoiles.
Parfois, vous êtes comme la petite Ji-an : vous entendez les combats sans les voir. D’autres fois, certains éléments vous échappent. Mais les clés existent, distillées par touches. Il faut être attentif, mais vous le serez car le scénario et la réalisation sont parfaitement maitrisés. C’est fascinant.
Certes, la série se permet aussi quelques tours de passe-passe discutables et qu'il faudra nous expliquer même si dans ce cas, je n'ai pas trouvé que cela nuisait au récit.
Résultat : un récit maîtrisé, envoûtant, que j’ai littéralement dévoré. Saison 1 refermée, j’attends déjà la suite, actuellement en tournage.