Andor
7.5
Andor

Série Disney+ (2022)

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Contre toutes attentes, Rogue One avait prouvé que Star Wars pouvait être beaucoup plus intéressant une fois délaissé de ses artifices magiques, donnant à voir un univers enfin crédible dans sa construction sociétale. Gareth Edwards nous a donné la meilleure itération filmique de la franchise depuis la trilogie originale, voir même, selon l’humeur du moment, la meilleure tout court. Et pourtant, personne n’aurait à l’époque donné un kopeck pour voir un prequel sur les illustres anonymes qui ont conduit à la bataille de Yavin où l’Empire est pour la première fois mis à mal. Alors autant dire que l’annonce d’Andor, prequel de prequel dans un univers étendu qui avait déjà montré ses limites sous la houlette Disney, faisait peu envie. Mais c’était sans compter sur la lutte acharnée de Tony Gilroy, officiant déjà au scénario du film de 2016, pour garder intacte l’essence du récit qu’il voulait nous montrer, et gagner le soutien indéfectible de Kathleen Kennedy, présidente de Lucasfilm.


Et c’est après m’être avalé les deux saisons de la série en moins d’une semaine que je peux clamer haut et fort, sans trembler dans mes bottes, que Andor est à n’en pas douter ce qui s’est fait de mieux dans le monde inventé par George Lucas il y a cinquante ans déjà. Mieux encore, ce petit bijou télévisuel fait partie des meilleures séries qu’il m’ait été donné de voir ces dernières années, se hissant dans les panthéons de la SF et du médium de manière plus large.


A l’évidence, pour qu’une série gagne telle grâce à mes yeux, il faut qu’elle propose un univers cohérent, des personnages attachants, des visuels qui invitent au voyage, et un sous-texte pertinent. Andor coche toutes ces cases et esquive nombre de chausses-trape qu’une telle hybridation des genres laisse deviner. A la fois thriller d’espionnage, thriller politique, film de guerre, d’évasion, de braquage, tragédie sociale et humaine, la création de Tony Gilroy jongle entre les échelles d’enjeux, passant du macro au micro, de l’intime à l’universel, pour que tout cela se retrouve in fine dans une jonction commune où le sacrifice est nécessaire.


Et cela fonctionne grâce à l’écriture de personnages crédibles, développés par des échanges qui mettent en pause l’intrigue pour mieux saisir les psychés, tiraillés par des dilemmes qui nous mettent en empathie directe. Du second rôle façon Andy Serkis au protagoniste campé par un Diego Luna taciturne, en passant par le pragmatisme froid du calculateur Stellan Skarsgård ou cette antagoniste arriviste que l’on adore détester (Denise Gough), personne n’est laissé pour compte. Chaque pièce de cette gigantesque partie d’échec est traitée à égale mesure dans sa caractérisation, dusse-t-elle n'apparaître que le temps d’un ou deux épisodes. Et chose inédite dans Star Wars, et plus largement chez Disney, la teneur sombre des événements contés n’est jamais édulcorée. Quel étonnement alors de voir la menace d’un viol palpable et nommée-t-elle quelle, que l’on prenne le temps de nous expliciter les méthodes de torture de l’Empire, ou que l’on parle ouvertement de génocide.


Mais nous y reviendrons plus tard, car pour l’heure, on ne peut que saluer la cohésion de l’écriture avec son enrobage esthétique. Les planètes sont immédiatement distinctes, parées d’une identité propre et originale dans cet univers pourtant essoré, où les choix de design reflètent l’essence même des civilisations qui y habitent (on pensera par exemple aux briques de Ferrix faites des cendres des défunts). Le passage du faste de Chandrila aux ghettos de Ferrix accentue cet effet de malaise, tandis que l'apparat protocolaire de Coruscant se met en reflet de la froideur mécanique de cette société galactique. Et à côté de ça, la nature s’exprime, alors que les montagnes pelées de Aldhani ou les océans claustrophobiques de Narkina 5 dévoilent leur splendeur et plantent le cadre de moments de bravoure où l’action se fait cathartique. Non content d’être porté par la musique qualitative de Nicholas Britell et Brandon Roberts, ou des visuels aussi scotchant que inédits (les rideaux de météores de The Eye), Andor cadence ses scènes de grand chambardement au rythme de l’habillage sonore, depuis l’enclume de Ferrix aux bips électroniques de Coruscant, en passant par l’hymne mortifère de Ghorman.


Tous ces éléments conjugués avec bonheur feraient déjà de cette série un incontournable. Mais non content d’être maîtrisé de bout en bout, Andor s'orne d’une pertinence dans ces propos qui ne fait que décupler les impacts. Car pour la première fois, le sentiment de l’oppression de l’Empire est véritable, bien plus prégnant que dans les films où la présence de space wizards tendait à diluer la teneur métaphorique Et la référence n’est plus seulement celle de l’Allemagne nazie, mais bien à notre monde actuel. On nous immerge dans une galaxie fort fort lugubre, fort fort proche, et fort fort contemporaine.


Outre les sempiternelles bottes de la Wehrmacht qui rôdent au tableau, c’est tout l’Histoire sombre de notre monde, de la seconde moitié du XXème à l’escalade perpétuelle qui culminait à nouveau hier alors que Trump bombardait l’Iran, que vient référencer Andor. Des techniques d’avertissement à base de casseroles tapées sur les murs qui nous emmènent au Belfast de l’ère IRA en plein milieu de Ferrix, des blocus de communication ressemblants étrangement à ceux de Gaza, des massacres et expropriations pour accéder aux ressources des écrasés qui ne trancheraient pas dans les politiques de Total en Afrique, aux camps de travail Ouïghours dont on ne ressort pas, en passant par les manipulations médiatiques trumpistes/bolloristes/poutinistes/jinping-istes (choisissez votre connard préféré) à base de bullshit et de fake news dans l’écriture d’un récit arrangeant, tout n’est que écho à notre situation. En tant que français, on pourra même se gargariser d’être représentés par la planète Ghorman, où le langage fictif est parlé avec notre accent à couper au couteau, où la populace est vue comme hautaine et fière, où l'exportation de produits de luxes fait la réputation, où les citadins portent le béret, où la populace se fait porte étendard des valeurs de liberté et du vent de la révolution (alors que l’on fait appel à Delacroix et à la Marseillaise), et où les immeubles sont haussmanniens.


Tant d’éléments qui ancrent la résistance d’Andor dans notre quotidien déliquescent. L’engagement sacrificiel de Cassian, Bix, Jung, Luthen, Mon Mothma, Vel, Kleya, Saw, et tous ces autres héros anonymes au service d’un principe, d’un idéal, d’un refus de l’oppression et de la haine au profit de quelques nantis, ne peuvent que nous rappeler l’importance de tels actes lorsque nous nous trouvons au bord du précipice. A la façon de
L’Armée des Ombres, la morale est mise de côté face à un ennemi qui l’utilise comme arme. Les choix sont ardus, cruels, mais nécessaires à la révolte. Et lorsque demain nous devrons prendre le maquis, nous serons heureux d’avoir eu ces modèles, fictifs ou réels, qui ne faillissent pas dans la facilité du désespoir.


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le 23 juin 2025

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Frakkazak

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