Il y a deux façons d'approcher, et de raconter, une saison de Formule 1 :


S'en tenir à la réalité mathématique de la victoire, et analyser tour par tour chaque action, chaque accrochage. Envisager chaque week end du point de vue des classements pilotes et constructeurs, des coups d'éclat et des coups durs animant chacune des dix écuries en course.


Ou se rapprocher de la piste. Des acteurs du grand cirque. De l'intimité du paddock. Faire le focus sur ce que vivent vingt gladiateurs et ceux qui les lancent dans l'arène. Décrypter les expressions fugaces, presque involontaires, de certains visages en interview dépassant les figures de style de l'exercice. Ce qu'exprime le regard, une interrogation sans réponse. Dessiner des images volées, des instantanés du bord de la piste.


Clairement, Drive to Survive se jette à corps perdu dans la seconde option. Et si l'on perd en lisibilité sur l'avancement du championnat du monde et le classement des forces en présence, la série va au delà du simple whouah ! admiratif, lâché devant un incroyable dépassement sorti de nulle part, pour se porter vers la variété des émotions traversant chaque week end de grand prix.


Je ne sais s'il s'agit d'un parti pris, mais Drive to Survive fait le plus souvent fi du haut du classement, du moins dans sa première saison, pour mieux s'intéresser aux petits, aux sans grade, aux écuries hier glorieuses tombées lourdement de leur piédestal, en quête de rachat ou de l'apprentissage de l'humilité. Aux candidats seulement occasionnels à la victoire, à ceux qui veulent obtenir le titre honorifique de meilleur des autres.


Et si cette première livraison nous prive de parallèles intéressants, par exemple entre Sebastian Vettel et Romain Grosjean dans leurs errements et leurs performances aléatoires, ou encore du point de bascule du championnat constitué par le Grand Prix d'Allemagne 2018, elle braque toute sa lumière vers le second plan. Celui des rivalités entre pilotes, surtout de la même écurie. Celui des tensions qui animent les mauvais mariages devenus amers entre team manager et pilote, client et motoriste. Celui des dissensions étalées en conférence de presse. Ou encore celui des espoirs déçus, des carrières sur le point de devenir radieuses, des hypocrisies.


Ainsi, le formidable côtoie le pathétique. La colère l'enthousiasme. Le sensible le silence. Le tout monté sur quatre roues, entre les vibreurs d'un ruban d'asphalte où le rugueux Kevin Magnussen voisine le fragile Romain Grosjean et ses figures de style. Où Daniel Ricciardo se pose la question d'aller voir ailleurs pour ne pas servir de porteur d'eau à son enfant terrible de coéquipier. Et tous ces autres pilotes extrêmement jeunes, sûrs de leur talent, arrogants parfois, où jouissant d'une situation précaire au sein de leur team.


Certains passent cependant sous le radar : comme Stoffel Vandoorne, Sergey Sirotkin, Brendon Hartley, nous privant d'autres aspects de la discipline. D'autres sont présentés sous un jour assez flatteur, tel Fernando Alonso, alors qu'il ne cesse pourtant de dénigrer et de miner l'équipe qui le paie à grands frais et qui lui tresse des louanges.


Mais ce qu'il y a peut être de plus fascinant, ce sont ces figures de team managers qui se lancent des piques aigrillardes, pleines de rancunes sourdes, de vacheries feutrées, images de coups tordus en coulisses que l'on ne peut que deviner. Dans cette discipline, Red Bull et Renault, qui se sont pourtant tant aimés entre 2009 et 2013, occupent une pôle position incontestable, dans une opposition de chaque instant entre Christian Horner et Cyril Abiteboul.


La saison 2, se contente de capitaliser sur ce qu'elle a présenté. En mettant en images le chassé croisé entre Daniel Ricciardo et Carlos Sainz Jr. En tournant ses caméras sur ses meilleurs clients : Gunther Steiner, Christian Horner, Kevin Magnussen. En proposant le suivi des discours, l'évolution de carrière en train de se jouer sur un coup de poker.


Les revers de fortune sont légion, tant côté pilotes qu'écuries, ravivant les rivalités en pariant pourtant sur un motoriste que l'on pensait perdu, pour se rendre compte que l'on est en capacité de mettre à l'amende son ancien partenaire. Comme Daniel Ricciardo, qui voulait briller et montrer à son ancien employeur qu'il ne l'avait pas jugé à sa juste valeur. Réalisant soudain amèrement qu'il ne s'est engagé que sur une autre voie de garage et planté sur le choix de son nouvel employeur.


L'occasion de confirmer, aussi, qu'il y a vraiment quelque chose de pourri au royaume de Red Bull, au vu du comportement de son boss envers les pilotes qui ne satisfont pas aux impératifs de résultats, au vu de la pression constante et des yeux de Chimène posés sur Max Verstappen.


Drive to Survive n'hésite pas à mettre à nu les aspects les plus cruels et injustes de la Formule 1, à mettre en scène, à peine, toute son intensité, tout son pouvoir de fascination. Entre coups de gueules, coups de génie, exaltation et résignation, la série réussit à saisir l'instant, le sentiment brut et violent, spontané, éprouvé par chacun de ses acteurs emportés par leur passion.


Behind_the_Mask, un pet au casque.

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le 28 mai 2020

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