L'heure des pros
3.2
L'heure des pros

Émission TV CNews (2016)

Il y a des émissions qui informent, d’autres qui divertissent, et puis il y a L’Heure des pros. Ce talk-show de Pascal Praud, diffusé sur CNews, est devenu au fil des ans un objet télévisuel unique, presque expérimental : un espace où l’actualité semble à la fois se répéter et s’auto-commenter, comme si les mêmes débats revenaient chaque jour sous une lumière légèrement différente. Chaque matin, la même mécanique, les mêmes indignations, les mêmes affrontements ritualisés : la France se réveille avec un air de déjà-vu. Et c’est précisément ce qui rend l’émission à la fois agaçante, fascinante, et – il faut bien le reconnaître – redoutablement efficace.


Une ligne conservatrice assumée, mais toujours niée


L’identité idéologique de L’Heure des pros ne fait plus guère mystère : le discours y est conservateur, volontiers réactionnaire, parfois flirtant avec une rhétorique d’extrême droite – tout en s’en défendant farouchement. Pascal Praud aime à dire qu’il ne fait que “donner la parole à ceux qu’on n’entend pas ailleurs”, posture commode d’une émission qui se vit comme contre-poids à un supposé “mainstream médiatique” uniformément progressiste. À chaque critique, l’animateur s’indigne : “on ne peut plus rien dire”, “on veut nous faire taire”, “on veut nous coller une étiquette”. Cette indignation récurrente est devenue un rituel à part entière du programme, presque un élément de décor.


Pourtant, derrière cette posture victimaire, se dessine une vision du monde bien nette : l’ordre avant tout, la nostalgie d’une France d’hier, la suspicion permanente envers la modernité, les minorités visibles, les élites urbaines ou les institutions jugées laxistes. Ce n’est pas tant un programme politique qu’une atmosphère idéologique, une manière d’être au monde : inquiète, grinçante, persuadée que la société file un mauvais coton. L’émission fonctionne comme un miroir grossissant des peurs et frustrations d’une partie du public. On peut y voir, comme le disait Laurent Fabius, “de fausses réponses à de vraies questions” : des inquiétudes légitimes, mais traitées à travers un prisme déformant, plus émotionnel que rationnel.


Suivre L’Heure des pros, c’est donc suivre l’actualité en sachant qu’on la regarde à travers une lentille particulière. Le spectateur attentif ne doit pas l’oublier : ce n’est pas une photographie du réel, c’est une interprétation du réel, très marquée, souvent caricaturale, mais indéniablement cohérente.


Le charme hypnotique de la répétition


Ce qui frappe le plus, c’est la régularité avec laquelle l’émission tourne autour des mêmes thèmes. Chaque jour, ou presque, la même partition : l’insécurité, l’immigration, la décadence de l’école, le “politiquement correct”, l’écologie vue comme lubie urbaine, et bien sûr la sempiternelle dénonciation des “gauchistes” responsables de tous les maux. Les visages changent parfois, les invités se succèdent, mais le fond reste immuable. On a le sentiment d’un monde en boucle, où la nouveauté ne sert qu’à réactiver d’anciens griefs. Comme dans Un jour sans fin, les personnages se lèvent chaque matin pour rejouer la même scène, les mêmes querelles, les mêmes indignations.


Et paradoxalement, c’est ce qui rend L’Heure des pros si captivante. Cette répétition crée une forme d’hypnose. On se surprend à anticiper les phrases, à deviner les réactions, à reconnaître les tics de langage (“les Français en ont marre”, “ce n’est plus la France !”, “le réel finit toujours par s’imposer”). C’est un théâtre de la constance, où l’émotion prévaut sur la nuance, où la polémique sert de moteur narratif. Même les “contradictions” sont scénarisées : l’invité de gauche sert d’alibi, de contrepoint commode à une partition déjà écrite. Tout semble improvisé, mais tout est réglé comme du papier à musique.


Il y a dans cette mécanique quelque chose de fascinant, presque rassurant. Dans un monde où tout bouge trop vite, L’Heure des pros offre l’illusion de la stabilité. Rien ne change vraiment, les thèmes reviennent, les indignations demeurent. On peut allumer la télévision six mois plus tard : on retrouvera la même colère, les mêmes arguments, parfois mot pour mot. Ce n’est plus une émission d’actualité : c’est une chronique de l’immuable.


Et c’est pour ça que c’est génial


C’est justement cette circularité qui fait la réussite du programme. Là où tant d’émissions cherchent à surprendre, à se renouveler, L’Heure des pros a compris que la fidélité du public repose sur la reconnaissance. On n’y va pas pour apprendre, mais pour retrouver un univers familier, une grammaire émotionnelle connue. On y cherche une forme de catharsis quotidienne, une mise en scène du “bon sens” contre les “élites”, une parole qui se veut sans filtre. On s’y indigne ensemble, on s’y rassure mutuellement, on y entretient un sentiment d’appartenance. C’est à la fois une émission et un rituel collectif.


Ce n’est pas un hasard si tant de spectateurs la regardent avec un mélange d’agacement et de fascination. On sait que c’est biaisé, on sait que c’est exagéré, parfois absurde. Mais on y revient. Parce qu’elle donne une forme au chaos, parce qu’elle met en récit les angoisses du temps, parce qu’elle offre ce qu’aucun autre média n’assume pleinement : un mélange de colère, de comédie et de conviction. On pourrait même imaginer un “bingo de la marmotte”, avec les mots-clés du jour : “ensauvagement”, “bien-pensance”, “Français oubliés”, “idéologie woke”. Le premier à remplir sa grille avant 9h30 a gagné.


Il y a dans cette ritualisation de l’indignation quelque chose d’étrangement jubilatoire. Et c’est pour cela que, malgré toutes les critiques possibles — biais, excès, simplifications, posture victimaire —, L’Heure des pros mérite d’être reconnue pour ce qu’elle est : une machine médiatique redoutablement bien huilée, qui capte mieux que d’autres l’air du temps, et qui a su transformer l’agacement en fidélité.


L’Heure des pros n’est pas une émission qu’on regarde pour s’informer. C’est une émission qu’on regarde pour comprendre comment une partie de la France pense, ressent, et se raconte. C’est un miroir déformant, mais un miroir tout de même. On peut s’en moquer, s’en inquiéter, ou s’en amuser — mais difficile de la nier. Comme la marmotte du film, elle se réveille chaque matin pour rejouer le même jour, sans que cela paraisse la lasser.

Et c’est peut-être là sa vraie réussite : faire de la redondance un style, du ressassement une identité, du biais une marque de fabrique.

8/10

Missingno718O
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le 15 oct. 2025

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