#12 - Naissance du multivers

Loki est sans doute l’une des séries les plus ambitieuses du Marvel Cinematic Universe. En partant d’un personnage secondaire souvent défini par la duplicité et la dérision, Marvel a bâti un récit d’une ampleur inattendue, à la fois intime et cosmique. Là où la plupart des productions du MCU s’enferment dans leur mécanique d’action, Loki tente autre chose : penser le temps, la destinée et le libre arbitre.

La première saison, en particulier, séduit par son ton unique et son univers visuel singulier. La seconde, plus dense et parfois confuse, élargit le propos jusqu’à créer une véritable genèse du multivers, tout en offrant une évolution profonde à son protagoniste. Une œuvre imparfaite mais fascinante, où l’ambition narrative l’emporte souvent sur la pure efficacité.

Avant toute chose, attention : cette critique risque de briser la continuité du temps… ou du moins de vous spoiler quelques moments clés de la série. Si vous n’avez pas encore visité la TVA, faites demi-tour avant qu’un agent ne vienne vous "réinitialiser".

Un univers singulier et cohérent

Le plus grand succès de Loki, c’est son monde. La série invente avec la TVA (Time Variance Authority) un concept à la fois clair, absurde et captivant. Ce lieu bureaucratique hors du temps, baigné d’une esthétique rétrofuturiste évoquant à la fois Brazil et la SF des années 60, fonctionne comme une métaphore du contrôle total. Tout y est codifié, numéroté, archivé : même les anomalies temporelles ont leurs formulaires.

Cette idée de bureaucratie du temps permet à la série de rendre intelligible ce que la science-fiction rend souvent opaque. Les voyages temporels, les branches de réalité, les paradoxes : tout devient ici un système rationnel, presque cartésien. On comprend enfin comment un univers peut se fragmenter, se dupliquer, se rebeller contre sa propre logique.

En plaçant Loki face à cette administration divine, la série réussit surtout à justifier narrativement et philosophiquement la naissance du multivers. C’est sans doute sa plus belle réussite : donner du sens à une mécanique scénaristique devenue centrale dans le MCU, tout en la reliant à une réflexion sur la liberté et le déterminisme.

Un récit qui se disperse

Si la première saison brillait par son équilibre entre introspection et tension, la seconde peine parfois à maintenir le cap. L’ambition y est manifeste, mais l’exécution plus hésitante.

L’intrigue se dilue dans une multiplication de sous-intrigues et de personnages secondaires mal exploités. Des figures comme Ravonna Renslayer, la générale Dox ou B-15 paraissent centrales sans jamais réellement l’être. Leurs motivations — loyauté, justice, émancipation — finissent par se confondre dans une morale commune, sans véritable conflit dramatique.

Ce foisonnement, sans doute voulu pour refléter le chaos du multivers, donne pourtant un sentiment de flou. Le spectateur finit par se perdre dans les ramifications temporelles et les dilemmes abstraits. On comprend les enjeux, mais on peine à les ressentir. La série, trop consciente de sa propre mythologie, sacrifie parfois l’émotion à la démonstration.

Reste une mise en scène inventive, un sens du décor et du montage qui évite à l’ensemble de sombrer dans la confusion totale. Mais entre les couloirs infinis du TVA et les lignes temporelles qui s’effacent, on sent une série tiraillée entre la clarté et la démesure.

Loki, du mensonge à la mythologie

Si Loki tient malgré ses déséquilibres, c’est grâce à son personnage principal. Le “variant” que l’on suit ici n’est plus celui des films, mais une relecture : un Loki plus vulnérable, plus lucide, cherchant un sens à son existence hors de son propre récit.

La série offre au dieu du mensonge une véritable renaissance mythologique. En l’éloignant de son rôle de trickster, elle en fait une figure de la responsabilité et du sacrifice. La référence à Yggdrasil, l’arbre-monde de la mythologie nordique, n’est pas qu’un clin d’œil : elle symbolise la mission de Loki, devenu gardien de la continuité, tisseur de liens entre les mondes.

En cela, Loki relie deux mythologies : l’ancienne, faite de dieux et de cycles cosmiques, et la moderne, celle du MCU, construite sur la science et le destin héroïque. Le personnage devient le point de jonction entre les deux, gardien du temps et du sens, comme si Marvel transformait un personnage de second plan en principe d’équilibre universel.

La série parvient ainsi à donner à sa conclusion une ampleur quasi métaphysique. Loki n’est plus un simple survivant : il est le cœur du multivers, celui qui rend possible l’existence même des mondes à venir.

Loki est une série paradoxale : à la fois confuse et limpide, grandiose et intimiste. Sa deuxième saison n’atteint pas toujours la maîtrise de la première, mais son ambition reste admirable. Par sa mise en scène soignée, son esthétique unique et son regard philosophique sur le temps, elle dépasse largement le cadre du divertissement super-héroïque.

En un sens, elle condense tout ce que le MCU tente d’être depuis plusieurs années : un mythe moderne, où la science rejoint la foi, où le chaos trouve son ordre.

Loki, dieu du désordre, devient celui qui maintient l’équilibre — et dans ce renversement se trouve la vraie réussite de la série.

Une œuvre imparfaite mais essentielle, à la fois conclusion et recommencement.

7/10