La Maison des bois
8.5
La Maison des bois

Série ORTF (1971)

Voir la série

Les 50 ans de retard de la télévision française résumés en 7 épisodes

J'ai découvert La Maison des bois grâce à Arte qui en permet le visionnage. Je n'avais jamais vu de film de Maurice Pialat mais une vieille série de la télévision française, certes un peu austère sur la forme, mais remplie de simplicité et d'authenticité avait tout pour me donner envie.


Les deux premières minutes, l'espoir est là : la musique d'introduction est poétique, le rythme est lent, les décors nous replongent dans la France d'avant, bienveillante et policée. Ah... Suis-je en train d'assister à un petit miracle en découvrant une perle inconnue qui totalise une moyenne de 8.9 points sur SensCritique (c'est à dire 0.3 points de plus que Breaking Bad) ?


Et puis le doute s'instille : euh, mais c'est écrit ? Ce sont des comédiens ? Le cadreur a posé sa caméra pour toute la scène comme au temps des frères Lumière ? Ah non, il zoome maintenant, comme moi quand je filmais ma famille avec mon premier caméscope. Mais ils avaient un budget ou c'est un film improvisé avec des copains ?


Aïe. Les (longues) minutes s'enchaînent et le doute laisse place à l'effroi qui se cristallise en consternation : mon dieu ! La série se déroule pendant la première guerre mondiale et s'il n'y avait le son et la couleur pour le démentir, je jurerais que ça a été filmé à la même époque. Non pas pour la qualité de la reconstitution mais pour le niveau de cinéma auquel je suis en train d'assister. Je fais pause pendant mon visionnage pour regarder de quand date cette série exactement. Catastrophe ! 1971... Oui, dix-neuf cent soixante et onze ! A la même époque aux États-Unis, on tournait pour la télévision la première saison de Columbo et les 3 saisons de Star Trek étaient déjà terminées depuis 3 ans. Et nous, nous en étions à... La Maison des bois ? Mais c'est une blague ? Là, bien sûr, tout fait sens et c'est Marie Pervenche qui me vient à l'esprit en saisissant avec une dramatique réalité pourquoi nous en étions encore à ça dans les années 80.


Dans La Maison des bois, beaucoup de choses sont consternantes : c'est (mal) filmé comme une pièce de théâtre, c'est à dire très souvent en plan large avec une caméra posée sur pied qui panote et qui zoome. Les acteurs semblent souvent improviser complètement leur texte (ça se sent) et de la manière la plus maladroite qui soit. La prise de son est déplorable : on comprend souvent un mot sur deux et il arrive même qu'avec seuls deux personnages à l'écran, le son de l'un des deux ne soit pas au même niveau que l'autre (sans doute un seul des deux a eu droit à un micro). Je ne suis pas sûr que ma mère aurait fait plus mal si on lui avait filé une caméra.


On pourrait se dire qu'ils n'avaient peut-être pas de moyens, que ça a été fait à l'arrache avec les gens du coin et une caméra 16mm en 3 jours. Mais l'alibi ne tient plus quand on aperçoit les travellings qui ponctuent malgré tout certaines scènes, ce qui suppose quand même un minimum d'infrastructures. Et après quelques recherches, on peut apprendre effectivement que La Maison des bois a bénéficié d'une production conséquente pour l'époque (source : CNRS) :



Le montant du devis de production de La Maison des bois en
1969 s’élève à 2 555 000 francs et l’enregistrement à
350 000 francs (la série financée à 30% par la société Son et
Lumière et à 70% par l’O.R.T.F ). Cela correspond à des moyens
conséquents pour un feuilleton télévisé mais ils s’avéreront
insuffisants puisque la R.A.I. est ajoutée au projet
le 17 septembre 1970 et y insuffle de nouveau 600 000 francs.



Et le fond, me demanderez-vous ? C'est simple, c'est à peu près du niveau de subtilité de Plus belle la vie. Et vas-y que je répète quatre fois une (mauvaise) blague, des fois que mamie devant son poste n'ait pas bien compris. Et vas-y que je parle tout seul pour faire comprendre l'action. Que l'on méprise à ce point le public en le considérant par défaut comme au bord de la trisomie m'est insupportable. Ou alors, on croit encore en 1971 en France qu'il faut tout expliciter comme en 1900 lorsque le public découvrait le cinématographe ? Je ne résiste d'ailleurs pas à vous retranscrire une scène issue du premier épisode (21:28) pour vous en faire goûter tout le sel « subtil » et « comique » :


L'aide du curé (parlant à deux enfants) : Oh mes enfants, ne buvez pas le vin de Monsieur le curé ! Ooooh ! Allez vous occuper des cierges !
L'aide du curé (parlant désormais tout seul) : Moi maintenant, je vais goûter au p'tit vin blanc de Monsieur le curé.
Les deux enfants (en train de s'occuper des cierges) : je suis sûr qu'il est en train de boire un p'tit coup de vin blanc.
L'aide du curé (parlant tout seul) : Oooh mais il est bon, le vin blanc de Monsieur le curé. Il est moelleux ! Il est très bon ! Mmmm ! Monsieur le curé a bien raison ! Encore un p'tit coup ! Je mettrai de l'eau à la place, il s'en apercevra pas ! Ah, il est bien bon !


Tout cela récité avec une finesse de jeu d'acteur qui ferait passer les Grosses têtes pour une conférence de philo.


Quelques secondes plus tard, le comédien fait (accidentellement) tomber son chapeau sur les verres, manquant de tout casser. Il s'esclaffe en regardant la caméra. Le bêtisier ? Ah non non, Maurice Pialat a laissé la séquence, il a dû se dire : oh ben c'est très rigolo ça, de faire tomber son chapeau !


Je crois que je n'avais pas vu une scène d'une telle naïveté depuis les pionniers du cinéma avec George Méliès.


De la sorte, la série est constellée de choses mal faites qui distraient par leur amateurisme, cela jusque dans les moindres détails. Allez, encore un exemple : dans l'épisode 2 (à 14:20), la femme d'Albert bouquine au lit la nuit pendant que des bruiteurs soufflent dans un appeau pour faire croire à un hibou. Quand soudain des bruits de porte se font entendre. La femme se lève, inquiète :
La femme : Mais qu'est-ce qui se passe ? Albert ? C'est toi ?
Vraiment, il n'y a eu personne sur place pour expliquer à l'actrice que dire « c'est toi ? » une fois qu'elle est déjà face à « Albert », c'est trop tard ? On y est, voilà les germes du Chevalier de Pardaillec des Inconnus...


Bref. Il faut véritablement être atteint de fétichisme snobinard pour s'extasier devant La Maison des bois. Ou avoir plus de 80 ans et ne pas être retourné au cinéma depuis la fin de la guerre. Et qu'on ne me sorte pas l'excuse de la fibre nostalgique sinon je décrète que G.I. Joe : le film est un chef d'oeuvre au motif que c'étaient mes jouets préférés.


Pour info, je me suis arrêté après deux épisodes.

CassioCorp
2
Écrit par

Créée

le 6 avr. 2020

Critique lue 1.3K fois

6 j'aime

5 commentaires

Guillaume

Écrit par

Critique lue 1.3K fois

6
5

D'autres avis sur La Maison des bois

La Maison des bois
JanosValuska
10

My childhood.

J’ai cette belle sensation que le film ne me quittera jamais, qu’il est déjà bien ancré dans ma mémoire, que je me souviendrai de cette maison, ce village, ce petit garçon pour toujours. J’ai...

le 21 nov. 2014

32 j'aime

5

La Maison des bois
Trelkovsky-
10

Grandeur nature

Pialat était peintre de formation et, comme on l'a souvent dit, cela se ressent dans son œuvre. En regardant « La maison des bois », on a effectivement l'impression d'être devant une succession de...

le 1 mai 2013

19 j'aime

La Maison des bois
Plume231
9

La hache de guerre est définitivement enterrée... !!!

A l'exception notable de "Nous ne vieillirons pas ensemble", le cinéma de Maurice Pialat et moi ça fait deux. Je sais que je vais commettre un sacrilège cinéphile mais pour moi, sous prétexte de...

le 18 oct. 2015

17 j'aime

8

Du même critique

La Maison des bois
CassioCorp
2

Les 50 ans de retard de la télévision française résumés en 7 épisodes

J'ai découvert La Maison des bois grâce à Arte qui en permet le visionnage. Je n'avais jamais vu de film de Maurice Pialat mais une vieille série de la télévision française, certes un peu austère sur...

le 6 avr. 2020

6 j'aime

5

Kimi
CassioCorp
7

Bienvenue à GattaKimi !

Il y a deux façons d'appréhender Kimi : soit en le voyant comme un thriller transposé dans la société contemporaine et on pourra légitimement être déçu par une intrigue déjà vue mille fois s'achevant...

le 26 févr. 2022

1 j'aime

1

Grease
CassioCorp
5

El famoso mineurs délinquants de 30 ans.

Il est des films cultes comme ça que l'on n'a jamais eu l'occasion de voir, mais dont le titre, les chansons, l'affiche, sont hyper familiers tellement ils font partie de la culture populaire. Grease...

le 12 mai 2021

1 j'aime

3