La série est loin d'être mauvaise. Sa réalisation, quoiqu'imparfaite, est d'une grande propreté, sa production artistique est sidérante, sa musique sublime et l'univers dépeint est riche de détails et de clins d'oeil à ravir.

Mais il y a deux problèmes : l'écriture et le jeu d'acteurs.

L'écriture est liée à un invraisemblable différend commercial qui fait notamment qu'Amazon n'a pas tous les droits sur la licence. Exit le Silmarillion, il ne faut jamais en évoquer l'intrigue, sous peine du courrou des ayants droits qui, toujours plus avides de se repaitre de l'oeuvre de Tolkien, en débitent l'héritage en morceau. Ce problème de production original est un réel scandale, et pas le premier du genre - on connait dans le monde francophone les inbuvables ayant droit d'Hergé qui poursuivent la moindre oeuvre reprenant une idée de Tintin, non pas par respect pour le défunt, mais par avidité vorace.

La conséquence, pour la série, est immédiate. Elle doit occulter des intrigues, des personnages, des parties d'histoires et en parler indirectement. Mais il serait faux de dire que cela n'est que de la faute du problème des droits. L'écriture est également maladroite dans son pari : celle de resserer une intrigue étalée sur des millénaires en quelques mois/années. On comprend que pour une série, il faille une seule temporalité. Mais tout se condense et progresse à un rythme qui apparait dès lors artificiel. La déclin et la destruction de Numéror par exemple, ou encore l'obsolescence programmée des Elfes, des phénomènes longs et complexes, arrivent dans l'intrigue comme un fait accompli, en un clin d'oeil. Ce double phénomène crée donc une difficulté de compréhension et de rythme. Et pire encore, cette condensation du rythme est rendue plus difficile par une gestion du scénario très aléatoire où la série peut enchainer le bon, comme l'introduction de l'épisode 1, qui fait rêver, le très bon, comme l'épisode 6 avec son excellente bataille, et la lenteur et la maladresse comme l'épisode 7. Elle crée de faux effets de suspens, tente tout le temps de brouiller les pistes pour ménager le spectateur. Tout est l'objet d'effets, même grossiers, comme la révélation concernant l'identité de étranger, maintenue mystérieuse durant huit épisodes et même celle plus logique de Sauron, même si j'apprécie le traitement de ce personnage par la série que je trouve plutôt logique.

On notera aussi à ce sujet que l'écriture est paralysée par l'enjeu de la production : une série au budget pharaonique, dans un univers célébrissime qui ne laisse le droit à aucune erreur. Ce sont des oeuvres tellement ogresques qu'elles se dévorent d'elles-mêmes. Chaque acteur du projet y apporte sa patte, ses observations, les idées originelles sont déformées, détournées, tortillonnées, par les trop nombreuses mains, souvent pataudes, qui les manipulent. Cette oeuvre appartient à un collectif qui finit par l'édulcorer et la dépersonnaliser. Elle n'est plus la vision d'un homme, d'un artiste mais d'une société. D'ailleurs tout était dit lorsque Amazon insistait sur la diversité à l'écran. C'était son souci, marketing, avant même de se préoccuper de la qualité intrinsèque et artistique de sa série. C'est finalement à l'image de notre société actuelle et de la vision de l'art, notamment au sein de la société américaine.

Cela s'accompagne aussi d'un style naïf, des scènes très mièvres par exemple avec les simili Hobbits, champêtres, qui se veulent comme les prémisses de l'ambiance de la Conté, et des dialogues volontairement ampoulés comme à Numénor. Cela est liée à la seconde faiblesse, moins grave, de la série, son casting. Aucun grand nom ne porte l'édifice. Les acteurs ne sortent jamais du lot, si ce n'est le duo Robert Aramayo-Owain Arthur (Elron-Durin) ou encore Sophia Nomvete (Disa), la relation nain-elfe, la complicité de cette amitié étant un des éléments les plus forts de la série. L'actrice de Galabriel (Morfydd Clark) joue un personnage qui n'évolue que peu, si ce n'est, enfin, à la fin. On est loin, très loin de la Galadriel sage du Seigneur des Anneaux. De la même façon, on peine à imaginer que Theo et Isildur auront un rôle décisif dans la suite de l'histoire car ils ne portent pas leur personnage.

J'ai en revanche bien apprécié le duo Arondir-Bronwyn, invention de la série, qui, si elle cède à des facilités liés au love interest et au bouclier scénaristique, fonctionne plutot bien. On notera également la réussite du personnage d'Adar, elfe corrompu par Sauron, premier des Uruk, mystérieux, exalté (ayant de la compassion pour les orcs) et ambigu et également Miriel, la fille du roi de Numéror, dont le traitement évolue de façon subtile et intéressante, avec ses visions de destructions et son aveuglement, matérialisé par sa perte de vue. Plus encore, on pressent du potentiel, dans les intrigues politiques de Numénor, dans les erreurs des Elfes et de leur roi Gil Galad, dans l'ambition manipulée par Sauron de Celebrimbor, le forgeron des Elfes, puisque celui-ci va créer des anneaux qui seront à l'origine de bien des malheurs.

Mais voilà, les enjeux les plus passionnants sont peu développés, tandis que certains, plus secondaires, prennent toute la place. La série ralentit volontairement pour ménager ses effets et se garder du scénario - alors qu'elle ne manque pas de choses à dire !

On regrette alors beaucoup de choses à la fin de cette aventure, celle d'un potentiel sous-développé, immature, alors que le budget est le plus mirifique de l'histoire. On rêve par moments de retrouver la profondeur des films, tant il y a, dans la forme, de quoi le faire, avec des thèmes musicaux emballants - Galadriel, Bronwin... - la BO est un bijou - des costumes, des batailles, des décors, naturels ou en studio d'une très bonne facture, voire exceptionnels par instants. Pensez, la création complète de Valinor, de Núméror, de tous ces lieux magistraux, c'est magnifique à voir. L'usage des décors naturels, notamment en Nouvelle-Zélande, c'est également un luxe dont peu de séries peuvent se targuer.

Pour conclure, non, on ne pas comparer la série à House of the Dragon qui mise sur tout l'inverse : l'intimité, peu d'action, une intrigue reserrée, une ambiance plus adulte et sombre. Mais à l'évidence, de ces deux pans de la fantasy, c'est celle plus mature et ambitieuse de Game of Thrones qui l'emporte, alors qu'elle puise pourtant sa sève dans le style du Seigneur des Anneaux, qui est comme l'univers originel de tous les autres mondes d'héroic-fantasy.

Reste que la série va encore durer quatre saisons et ouvre des perspectives intéressantes, entrouvertes par l'épisode 8. On espère que la prochaine fois, ce sera l'annus mirabilis, car il faudra bien un miracle pour remonter la pente. L'oeuvre en a le potentiel. A elle de prendre en maturité, à prendre des risques, à accepter d'être moins lisse, et d'être moins paralysée par l'immense enjeu financier et culturel qu'elle est.

Tom_Ab
6
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le 3 janv. 2024

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