J’estime qu’il y a plusieurs façons de filmer un acteur, d’en tirer quelque chose : Ses capacités de jeu ; son physique (carrure, peau, particularités, réaction à la lumière…) ; et son mystère, sa vérité intérieure infalsifiable. Ce troisième point est le plus intangible et fragile à capturer, donnant une magie particulière à l’œuvre qui y parvient. Plus difficile encore est de capter ces trois aspects à la fois.
Cette série nous donne toute la palette des possibilités de Kate Winslet. Les trois états que j'évoque se superposent et entrent en synergie. Le mystère de son regard triste, presque éteint ou myope – entrevu dans certains films, même quand elle était jeune et jouait une délurée - devient indissociable de ses capacités d’actrice et de l’état de son visage, avec sa fatigue et ses rides, pour former la réalité indiscutable de Mare : L’impossibilité de faire le deuil, le doute, le sens du devoir envers la communauté, jusqu’à la faiblesse face à la violence et à l’amour, et même quelques scènes de rire ou de charme (elle enfile un manteau pour une soirée et c’est un déesse triste qui illumine l'écran). Kate Winslet ne joue plus, elle « est ». Donc Mare « est ».
C’est précieux pour tenir une série qui porte le nom du personnage principal. L’ensemble du casting est à la hauteur de Kate – mis à part un acteur qui aurait pu me gâcher la perfection de l’ensemble s’il avait eu plus de ses deux scènes. Ce qui fait de Mare Of Easttown un œuvre de haute volée.
Du réalisateur, je n’avais vu que « The Hunt », que j’avais aimé sans que ça me laisse l’impression d’avoir rencontré un grand artiste. Un bon artisan, pas forcément un auteur. Ce qui peut tout à fait suffire pour faire un chef-d’œuvre, surtout pour une série qui est souvent une œuvre collective avant tout. La technique est parfois un peu trop en avant mais ne dessert jamais le propos, au contraire. On repère assez vite l’abus de zoom, mais ça n’est jamais dommageable car ça raconte toujours quelque chose.
Dès les premières images, le zoom écrase les bâtiments de la communauté, sans pour autant donner de sensation suffocante, plutôt pour nous faire ressentir la proximité des habitants et nous rendre partie prenante de ce microcosme. Un coup de microscope qui nous transporte dans la boite de Petri. C’est une technique qui nous rapproche ensuite des visages pour nous faire entrer dans leur psychologie. Un équilibre s’installe entre la possibilité de respirer, dans une petite ville proche de la nature, et l'enfermement des lieux exprimée par le zoom. Cela crée une ambiance précise qui donne tout son corps à l’univers de la série. Toute une réalité devient palpable.
Un air de « Twin Peaks » souffle fortement sur la série, l’aspect fantastique et onirique en moins. « Mare Of Easttown » rejoint la famille des « Top Of The Lake », « Fortitude » et autres « Beau Séjour » qui naviguent dans le sillage de l’œuvre de Lynch. À aucun moment la référence ne fait souffrir de la comparaison. On est dans une familiarité sans être dans la redite. Il y a aussi beaucoup du climat du film « Manchester By The Sea ». Le même genre de drame secret qui plane dans le même cadre d’une petite ville de province froide et discrète.
L’écriture est excellente, ciselée et subtile, et permet de nourrir des réflexions sur la condition des femmes, celle des hommes, sur le sens de la communauté, et plus largement des USA face à la drogue, aux armes, à la violence, à la galère... Les revirements ne sont pas rocambolesques et tiennent en haleine jusqu’à la toute fin, sans pour autant empiéter sur les drames, véritable sujet de la série. Un bon drame policier a souvent cette dimension critique et sociale, voici un chef-d’œuvre du genre, rien de moins. Peu d’originalité, mis à part quelques revirements, mais c’est la preuve que ce n’est pas toujours utile. On ne fait jamais que raconter toujours la même histoire, ce qui compte c’est de bien le faire.
J’ai vu beaucoup de bonnes séries récentes, mais celle-ci est vraiment d’un autre niveau. Kate Winslet nous y guide, entre fantôme et pythie. Elle nous renvoie ce regard aveugle qu’ont les statues, qui voit le présent depuis le pays de la douleur et des morts. Elle nous fait percevoir un paysage affectif dévasté qui reste là, à nous hanter.
9,5/10
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