Comment un tueur solitaire du Wisconsin a-t-il hanté tout le cinéma d’horreur américain ? Avec Monster : L’histoire d’Ed Gein, Ryan Murphy et Ian Brennan remontent à la source : ce fermier nécrophile, éventreur de cadavres et écorché vif, qui inspira Psychose, Massacre à la tronçonneuse et Le Silence des agneaux. Bien plus qu’un simple biopic, la série entremêle avec maestria le parcours du « boucher de Plainfield » et la généalogie des monstres qu’il a engendrés à l’écran. Un montage brillant qui explore comment l’Amérique transforme ses traumatismes en mythes, et sa passion de la violence en jouissance cinématographique. Puissant, dérangeant et fascinant — une plongée au cœur de l’inconscient sanglant d’une nation.
Monstre : L’Histoire d’Ed Gein – Généalogie du mal de l’Amérique
Dans sa nouvelle série choc Monstre : L’Histoire d’Ed Gein, Ryan Murphy et son bras droit Ian Brennan (auteur des huit épisodes) s’intéressent sous la bannière de Netflix à la figure originelle et inspiratrice du cinéma d’horreur américain. Après les frères Menendez et Jeffrey Dahmer, c’est au tour du premier monstre moderne d’être disséqué : Ed Gein, le fermier solitaire du Wisconsin dont les crimes ont engendré toute une mythologie cinématographique.
Avant Psychose, avant Le Silence des agneaux, avant Massacre à la tronçonneuse, il y avait Gein. Ce nécrophile psychopathe qui collectionne les peaux humaines, construit des visages, des meubles en ossements et vit sous l’emprise d’une mère castratrice, incarne la figure primitive du tueur en série américain. La série explore avec une intensité troublante la psyché de cet homme simple devenu boucher de Plainfield, sans jamais tomber dans le sensationnalisme gratuit.
Le cinéma : miroir des traumatismes et fabrique à fascinations
Monstre : l’histoire d’Ed Gein non seulement saisit le cas de ce serial killer, déploie avec une subtilité subversive les fantasmes macabres et pulsions innommables de Gein. Mais plus encore la série, par un montage d’une rare maestria, fait se corréler en permanence le récit de la vie du boucher de Plainfield avec ce que l’histoire du cinéma américain va en faire. La grande force de la série réside dans ce montage et cette réflexion virtuoses qui entremêlent la réalité des crimes et leur réappropriation par le cinéma.
Ainsi nous allons et venons entre plusieurs régimes de récits et d’époque où tout à coup les mises en scène et obsessions violentes d’Ed Gein nous replongent dans le personnage de Psychose (créé par Hitchcock à partir d’Ed Gein) et dans la fabrication même de ce nouveau genre de sexy horrific movies. On voit donc le personnage d’Alfred Hitchcock assistant lui-même dans une salle de cinéma à la découverte de son film par les spectateurs effarés de 1960.
L’Amérique et son double
La série magistralement écrite et montée réfléchit et travaille ce que le cinéma a pu digérer/sublimer des traumas de l’Amérique pour en faire de la jouissance à travers des films devenus iconiques. Bien plus qu’Ari Aster ou Paul Thomas Anderson, on est avec Monster : L’histoire d’Ed Gein au cœur de l’essence de l’Amérique dégénérée, de sa déliquescence annoncée, le fantasme de sa violence comme trucidée, momifiée puis recousue à même la peau de sa légende en captivation pour ses propres traumas.
Plus qu’un simple true crime, Monster se révèle une plongée dans l’inconscient collectif américain. Ryan Murphy montre comment la nation a transformé ses peurs les plus profondes — la solitude, la folie, la violence rurale — en une mythologie contemporaine.
Une œuvre qui dérange, interroge et fascine : un Portier de nuit 2025
Portée par une réalisation audacieuse, scabreuse et un scénario brillamment structuré, la série ne se contente pas de raconter : elle interroge notre fascination pour l’horreur. Les dialogues hallucinatoires entre Ed et la « chienne de Buchenwald » ( interprétée par Vicky Krieps), rivalisant dans l’avidité et l’esthétique sadique, contribuent à ce climat dérangeant, trash et provoquent un questionnement critique digne du scandale de Portier de nuit (de Liliana Cavani orchestrant la relation sado-maso entre un ex-officier nazi Dirk Bogarde et une ex-déportée Charlotte Rampling).
Ryan Murphy et Ian Brennan questionnent en 2025 notre capacité à avaler (ou pas), mouvoir (ou pas) ou faire fiction (ou pas) de nos monstres et plus encore à réfléchir sur la monstruosité de la norme, génératrice de déviances et pourvoyeuse d’errances. Freud donc pas mort. Murphy, dans toute son anthologie de l’horreur américaine, rend plus que vif cette phrase que lance l’inventeur de la psychanalyse lors de sa première conférence aux États-Unis en 1909 : Je vous apporte la peste.
L’ensemble est fort, déstabilisant, ravivant une mémoire cinéphilique constante. Une réussite pour public averti.
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